Ihriae-Au fil de l'eau...

Ihriae-Au fil de l'eau...

PART. I - Chapitre 10

- Chapitre 10 - 

 

 

Et s'il tentait de percer ses pensées, qu’y découvrirait-il ? Quelque chose qu’elle ne souhaitait pas ?
Elle se sentait de moins en moins à son aise, et il le savait.
Le chat jouait avec la souris.
Pourquoi s’inquiétait-elle ? Peut-être s’interrogeait-il sans pour autant se douter de quoi que ce soit à son sujet.
Son regard sembla se moquer d’elle.
Ce fut bref, mais elle était certaine de l’avoir vu.
— Dites, on n’est plus sur la Terre, n’est-ce pas ? se risqua-t-elle à lui demander, histoire d’établir un contact d’apparence innocent.
Elle avait parlé dans la langue qu’il avait utilisée avec le scientifique. Elle aurait aussi pu décliner l’identité qu’elle avait utilisée à l’AMSEVE. Elle n’en voyait pas l’intérêt. En fait, elle ne savait pas encore sous quelle identité elle se présenterait. C’était déjà une chance inestimable de l’avoir trouvé.
Après l’avoir entendue, il ne pouvait plus avoir le moindre doute sur ses origines.
S’il en fut surpris, il ne le montra pas. Il sembla seulement trouver la question amusante ou bizarre, car un semblant de sourire étira ses lèvres. Rien de plus.
Sans répondre à sa question, il se détourna d’elle, et rejoignit le marchand d’esclaves. Ils discutèrent à voix basse.
Elle faillit sursauter lorsque Belle Gueule II apparut à côté d’elle et la saisit par le bras, sans brutalité. Elle sentit la froideur de sa peau. Ce type n’avait pas seulement un physique vaguement apparenté à un reptile…
Il la conduisit auprès du scientifique de l’AMSEVE.
Elle vit alors Belle Gueule I monter sur l’estrade un billot sous le bras. Un instant, elle pensa qu'une tête allait tomber. En l'occurrence, la sienne.
Il le posa à côté de MacAsgaill qui, surpris, s’était levé et écarté aussi promptement que le trésorier lorsqu’il avait vu arriver le Drægan sur lui.
Contrairement à lui, l’Écossais ne fut pas assez vif pour empêcher l’étrange créature de détendre un long et large bras musculeux à la peau bleu-vert dans sa direction.
Trois doigts filiformes s’enroulèrent autour de son cou.
BGI le força ainsi à se rasseoir.
Lorsqu’il fut certain que l’humain ne bougerait plus de sa place, il le libéra.
Esmelia avait observé la scène de manière totalement détachée. Du coin de l’œil, assise sur le billot, elle vit le scientifique se masser la gorge. Son visage, si pâle lorsqu’elle l’avait aperçu la première fois, était maintenant congestionné.
— Ça va ? lui demanda-t-elle.
Oubliant ce qu’il venait de subir durant quelques instants, il sembla soulagé d’avoir une compagnie humaine. D’autant qu’ils allaient sûrement devoir rester assis côte à côte pendant un long moment.
Surtout si le troisième intervenant était bien décidé à jouer les trouble-fêtes.
Elle s’étonnait qu’il ne se soit pas encore montré. D’après la réaction du Drægan, il ne faisait pas partie de son cercle d’amis.
Le scientifique se pencha vers elle :
— Vous semblez ne pas savoir où vous vous trouvez ?
Elle répondit de la même manière :
— Je vous le confirme.
Un pieu mensonge, songea-t-elle à peine.
— Et vous ? Vous n’avez pas l’air d’être du coin non plus.
— Pas vraiment. Mais comment… Enfin, je... Je suis sur cette planète depuis assez longtemps pour pouvoir dire que, d’ordinaire, les gens… les individus qui viennent sur ce marché le font de manière consentante.
— Vous connaissez beaucoup d’esclaves consentants ? Dites-moi si je me trompe, mais j’ai l’impression que votre situation n’est guère plus enviable que la mienne.
— Ce n’est rien de le dire, soupira-t-il. Mais pour en venir à ce qui se passe ici, c’est tout, sauf un marché aux esclaves.
— Vous plaisantez. Tout à l’heure, il y a un type qui m’a présentée comme il aurait présenté sa vache à la foire devant des individus qui sont prêts à payer pour l’avoir, pour m’avoir. Vous appelez ça comment ?
— Vu sous l’angle terrien, cela a tout d’une vente d’esclaves, je le reconnais. Mais nous ne sommes pas sur la Terre. Les choses, ici, sont… Différentes.
— Un chat est un chat pour autant que je sache.
— Vous savez que la moitié de la somme d’acquisition va à celui qui a été acquis ? Il travaillera ensuite pour son acquéreur tout en étant nourrit et logé. Il aura peut-être droit à des vêtements, notamment s’il doit porter un uniforme et, s’il le souhaite, il pourra apprendre de nouvelles compétences.
Il tourna la tête en direction d’une créature qui discutait avec son nouveau maître.
— Les plus chanceux épouseront leur maître. Les autres repartiront riches d’une belle somme d’argent. Ils auront, durant le temps de leur service, des charges et des droits.
— À vous entendre, Je vais non seulement être nourrie, logée, blanchie et être riche. C’est le paradis, le railla-t-elle.
— Je n’ai jamais dit cela, se défendit-il.
— Et je reçois des coups en guise de prime ?
— Selon leurs lois, si quelqu’un porte plainte, la victime ou un témoin, non seulement l’acquéreur risque la prison. Tous ses esclaves seront libérés de leurs obligations à son égard, et les gains de leur propriétaire seront partagés entre eux. Croyez-moi, ici, personne ne se risque à frapper quelqu’un qui travaille sous ses ordres.
— Le propriétaire peut ne pas le faire, d’accord. Et laisser une autre personne se salir les mains ?
— Cela conduirait à la peine de mort pour l’exécuteur et son commanditaire.
Elle s’accorda un court moment de réflexion avant de répondre :
— Je ne suis toujours pas convaincue.
— Cela a une importance ?
En guise de réponse, elle haussa les épaules. Tant qu’elle pouvait quitter cette planète et aller au bout de sa mission…
D’un mouvement de tête, elle désigna son acolyte.
— Et lui, c’est qui ? demanda-t-elle tout en connaissant la réponse.
— Baal, un Drægan.
— Un quoi ? fit-elle semblant de s’étonner.
— Un Extraterrestre.
— Comme tous ceux qui sont ici, même vous et moi.
 
Il se rendit compte de l’évidence énoncée.
— Désolé. En réalité, C’est plutôt nous les extraterrestres… Enfin, les extrafeloniacoupiens. En même temps, vu votre prestation, je pensais que vous saviez à qui vous aviez affaire.
— Le moins du monde.
Il se fit un devoir de le lui expliquer.
— Ses habitants appellent cette planète Féloniacoupia… Cette planète ou bien le continent sur lequel nous nous trouvons, à moins que ce ne soit la région. Ils ne sont pas très clairs avec les appellations de lieux. Ils n’ont pas l’air d’y attacher une grande importance. Leurs cartes géographiques sont très sommaires. En tous les cas, pour nous, c’est Féloniacoupia.
Elle hocha la tête.
— Ça va être pratique quand ils inventeront un assistant de navigation comme le Système de Repérage Géographique, ironisa-t-elle.
— Je crois que c’est déjà fait, répondit-il sans relever le sarcasme. À l’échelle spatiale.
Au moins, une bonne nouvelle, songea-t-elle
Elle reporta son attention sur le Drægan :
— Donc, C’est ça un Drægan ? demanda-t-elle à mi-voix.
Elle plissa les yeux en l’observant, feignant de chercher ce qui le différenciait des êtres humains comme elle, MacAsgaill et tous ceux qu’elle avait l’habitude de côtoyer avant de quitter la Terre.
Le scientifique poursuivit :
— D’après ce que j’ai pu apprendre à son sujet, il est considéré comme une légende, mais aussi comme mort…
La Mort lui courait après… Voilà qui ne l’étonnait guère.
— Il me semble pourtant bien vivant…
— Ce qui laisserait supposer qu’on ne peut pas le tuer… ou qu’il ressuscite à chaque fois que quelqu’un y parvient. Bref, tout laisse croire qu’il est immortel. Mais les Drægans ne sont pas des immortels, même s’ils peuvent vivre des milliers d’années.
Il lui laissa quelques secondes pour assimiler ces informations avant d’ajouter :
— Par contre, j’ai entendu dire qu’ils maîtrisaient certaines technologies comme le clonage et d’autres sciences qui laisseraient à penser qu’ils sont magiciens. Et de la vraie magie, ou ce qu’on peut supposer en être comme l’illusion, la translation, la métamorphose, et j’en passe. C’est sûrement pourquoi ils ont été pris pour des Dieux. C’est certainement aussi l’une des raisons pour lesquels ils sont représentés sous la forme d’animaux.
— J’imagine que c’est possible pour une espèce qui a tout son temps pour inventer ce dont elle a besoin, ironisa-t-elle. À propos de temps… Il ne le ferait pas durer un peu ?
Sans relever sa question, le scientifique poursuivait sa réflexion :
— C’est très pratique pour faire croire à sa mort et disparaître pendant un temps. Vous pouvez utiliser autant de clones que vous le souhaitez ou arrêter les battements de votre cœur pour faire croire à votre mort.
— Un seul clone devrait suffire, non ? releva-t-elle.
—Il serait mort plusieurs fois.
Cela posait surtout un nouveau problème…
— Si C’est bien le cas, êtes-vous certain que celui-ci soit l’original et non… une copie ?
Il eut un sourire triste avant de répondre.
— Si vous avez un moyen de le savoir…
— Son immortalité n’est peut-être rien de plus qu’une légende. Comme le clonage. Il leur suffit de le faire croire… ou de lancer la rumeur. Le temps fait le reste. D’autant plus s’il se compte en siècles.
— Ce n’est pas l’avis de l’une de mes amies… D’après elle, la réputation d'un Drægan n'est jamais usurpée. Ils comptent parmi les pires crapules de notre galaxie. Les mots pacifisme, altruisme et leurs dérivés ne figurent pas dans leur langue. Ça en dit beaucoup sur leur civilisation. S’ils peuvent se vanter d’une chose dont ils sont capables, alors ils le font plutôt deux fois qu’une.
— Vous en savez beaucoup sur eux.
Il eut un rire bref et sarcastique.
— J’ai encore beaucoup à apprendre. En fait, j’ai… J’avais une amie qui en sait long sur cette espèce, poursuivit-il. Elle les pourchasse depuis longtemps… Avant son arrivée à l’AMSEVE, Baal était déjà sa baleine blanche. Sa tête était mise à prix… Je suis presque certain qu’elle doit toujours l’être, d’ailleurs. Elle était persuadée l’avoir tué… Au moins trois fois. À chaque fois, il ne lui fallait pas attendre longtemps pour qu’il refasse parler de lui à un endroit ou à un autre de la galaxie, selon elle.
— Votre amie était chasseuse de primes ?
— C’est ce que j’ai toujours supposé. Elle disait qu’à cause de lui et de ses fausses morts, elle devait un paquet d’argent à quelqu’un, et que si elle ne le remboursait pas rapidement, ce serait sa tête à elle qui se retrouverait mise à prix.
— Si elle pourchassait un extraterrestre, j’imagine qu’elle l’était aussi.
— À la voir, vous n’en douteriez pas un seul instant.
Elle prit l’air dubitatif qui convenait à la situation.
— Dites, la baleine blanche de votre amie, elle a un autre nom ?
— Pourquoi aurait-il un autre nom ?
— Pour rien. Enfin si… C’est bizarre comme nom. On ne sait même pas si un nom ou un prénom, ou alors un pseudonyme… ou même un titre.
Elle avait parlé un peu plus fort. Elle s’en rendit compte lorsque le marchand d’esclaves cracha quelques mots à leur intention. Sans doute leur intimait-il l’ordre de se taire.
Belle Gueule I qui attendait à ses côtés fit un pas dans leur direction.
Baal l’arrêta d’un geste de la main, tout en échangeant encore quelques mots à voix basse avec le marchand d’esclaves.
À un moment, celui-ci jeta des regards méfiants à son courtier, puis à son négociateur.
Peut-être pour éviter de se retrouver trop étroitement liée à l’affaire, la mante religieuse se mit en devoir de recompter les mises des acheteurs précédents avec la plus grande attention comme si la scène qui se jouait, près d'elle, lui était totalement étrangère.
L’autre leva les yeux au ciel et soupira. Du moins, ce fut l’impression qu’il donna sous sa touffe de poils faciaux.

Comprenant qu’il n’obtiendrait aucun soutien de la part de ses deux acolytes, le marchand s’efforça de faire bonne figure et éclata de rire. Du moins à ce qui y ressemblait tant il sonnait faux, même pour une sorte de coassement.

Quelques individus, comme s’ils avaient ressenti le risque d’être mêlés à un conflit qui ne les concernait pas, quittèrent la place avec précipitation.

Le Drægan lâcha trois mots d’une voix forte et claire.

Le marchand roula des yeux et ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais une petite voix dans sa tête lui souffla sans doute un truc du genre : « La chance, c’est comme la foudre, il est peu probable qu’elle tombe deux fois au même endroit. Alors quand ça arrive, on ne dit rien et on attend. »

Il se pinça les lèvres, se recomposa un air impassible, et acquiesça d’un signe de tête en direction du négociateur. Celui-ci hésita une longue minute, puis il répéta aux potentiels acheteurs les trois mots avec lenteur, déglutissant entre chacun d’eux, comme s’ils sortaient malgré lui de sa large bouche.

Une onde de stupeur parcourut la petite assistance qui était restée devant l’estrade.

Quelques-unes se regardèrent avec incrédulité. D’autres reportèrent leur attention sur l’humaine à côté du militaire. Ils se demandaient tous ce qui, chez elle, provoquait l’intérêt du Drægan.

Elle chercha l’Homme triste, le seul autre humain de l’assemblée, à moins qu’il ne soit, lui aussi, un Drægan. Il n’y avait qu’un moyen de le savoir, mais il semblait s’être éclipsé. Elle trouva curieux qu’il surenchérisse, puis disparaisse au moment où quelqu’un d’autre proposait un prix plus élevé.

Cet individu encore invisible avait, par sa proposition suscitée l’intérêt de Baal. Et il n’avait pas eu l’air d’apprécier. En tous les cas, cela l’avait poussé à répondre à ce qui était, sans doute pour lui, une provocation.

L’enchérisseur avait trouvé un adversaire chez Baal. L’Homme triste, lui, ne s’était pas senti de taille contre l’un des deux, ou les deux à la fois.

Esmelia commençait à se demander si son stratagème n’allait pas se retourner contre elle.

Comme pour le confirmer, sortie de nulle part, la voix aux intonations pointues aboya de nouveau. Quatre syllabes cette fois.

Une créature ronde tomba à la renverse et roula comme un gros rocher pour traverser la foule qui se referma immédiatement après son passage. Esmelia ne put voir où elle était allée s’échouer une fois sortie de la place.

La rumeur faisait converger des curieux plus téméraires que les autres vers la place du marché aux esclaves.

Baal affichait un sourire tranquille, mais faux, estima-t-elle.

Il discuta de nouveau avec le marchand d’esclaves.

Le militaire regardait autour de lui, essayant probablement de deviner l’identité de l’enchérisseur.

La peur avait fait place à la curiosité. Il était intrigué par cet enchérisseur qui ne se montrait pas.

Esmelia commençait à s’inquiéter et à craindre que les choses tournent mal.

Elle sentait la nervosité la gagner.

L’ Écossais reporta de nouveau son attention sur sa compagne.

— Je m’appelle William MacAsgaill. Je suis exoarchéologue. Je sais, ce n’est pas courant, lâcha-t-il d’une traite.

Lui dire qu’elle savait très bien qui il était n’était pas encore la chose à faire. Il finirait bien par le deviner ou, au moins, le supposer lorsqu’ils auraient fait un peu plus connaissance.

— Esmelia Danatess-Evihelia…

— Ça non plus, ce n’est pas courant, mais C’est un joli nom… Votre prénom aussi… Comment êtes-vous arrivée ici ?

Il avait une voix douce et apaisante, malgré les circonstances.

Elle lui répondit franchement.

— J’ai saisi l’occasion qui s’est présentée.

Elle n’avait pas réussi à lui mentir. Au début, ce n’était pourtant pas difficile, mais plus elle restait à ses côtés et moins elle avait envie de lui mentir. Il y avait quelque chose chez cet homme qui faisait qu’à un moment ou un autre, on avait envie de jouer cartes sur table. Au moins une fois sur deux.

Elle se demanda s’il faisait cet effet à tous ceux qu’il rencontrait. Si tel était le cas, sa relation avec Baal risquait de devenir fichtrement intéressante. Serait-elle encore présente pour le voir ? Elle l’espérait.

Voyant qu’il n’avait pas l’air convaincu, elle ajouta :

— On peut aussi dire que je n’ai pas été très honnête avec ceux qui m’ont employée.

Il l’observa un instant avant de secouer la tête.

— Je vois… J’ai aussi faussé compagnie à mes collègues et amis… Pour l’amour de la science et de la découverte.

Il ne cherchait même pas à savoir en quoi et avec qui elle avait été malhonnête. Peut-être en avait-il une idée et attendait qu’elle lui dise elle-même. Elle en avait envie, mais elle parvint à se retenir.

— Ça valait le coup ? lui demanda-t-elle.

Il éluda la question par une autre, comme elle l’avait fait :

— Et vous, c’était pour la bonne cause ?

Elle s’efforça de sourire :

— Tenter de sauver la galaxie, évidemment. Mais pas toute seule…

Il pensait qu’elle plaisantait et s’attendait à ce qu’elle en dise plus.

Elle n’ajouta rien.

Comment pourrait-elle lui expliquer qu’elle était le dernier maillon de plusieurs générations de femmes à la recherche du seul être capable de sauver l’univers d’une destruction annoncée depuis l’aube des temps ? Comment lui dire qu’elle venait de mettre la main dessus avant beaucoup d’autres et qu’elle devrait tout faire pour que l’ancien dieu accepte sa destinée ? Comment convaincre MacAsgaill que lui-même serait amené à prendre une part importante de cette histoire sur ses épaules ?

Cela paraissait énorme, et très cliché. Il y avait sûrement des explications moins vraies, et beaucoup plus crédibles que celles-ci.

Sans compter que sa situation actuelle ne donnait pas l’impression qu’elle puisse sauver quoi que ce soit, avec qui que ce soit.

Encore moins avec un ancien dieu de la guerre et des orages.

Mais il fallait bien ça pour contrer la menace.

Elle reporta à nouveau son regard sur le Drægan.

— Qu’a-t-il fait pour que sa tête soit mise à prix ?

— D’après mon amie, rien de moins que l’extermination de quelques milliards d’êtres vivants. Pour être plus exact : il aurait annihilé deux planètes de type terrestre, habitées… Ainsi que les flottes spatiales qui étaient venues les défendre.

— Un planéticide, ironisa-t-elle.

Un mot qui ne devait pas exister sur la plupart des planètes habitées par des êtres évolués tellement cela paraissait inconcevable. Malheureusement, il existait sur certaines, même s'il n'avait jamais eu d'usage courant.

— Il aurait aussi assassiné plusieurs Drægans influents pour une raison ou pour une autre… mais surtout pour le pouvoir. Cela n’a rien d’inhabituel dans la société dræganne, au contraire. Ce serait même assez encouragé chez ceux qui sont proches d'un pouvoir… Ce qui tendrait à dire qu’il appartient à une dynastie, ou à une famille, qui a été dominante à un moment ou à un autre de leur Histoire… Quelque chose dans le genre. Par contre, supprimer les membres des Guildes comme celles des marchands, des transporteurs ou de la justice, ça, c’est formellement interdit.

— A-t-on la preuve de ses exactions ?

— La parole de mon amie me suffisait… Même si j’ai toujours eu l’impression qu’elle avait un compte personnel à régler avec lui.

— Vous accordez beaucoup de confiance à votre amie…

Elle se reprit. Il avait utilisé l’imparfait.

— … Ou vous lui en accordiez.

— Nous n’étions pas dans la même équipe… Mais ses collègues étaient mes amis. Elle l’est donc devenue. Elle leur a sauvé la vie, une fois. Les choses ont changé depuis. Elle… Moi… Je ne sais plus ce que je dois en penser...

Il ajouta, après un court moment de silence :

— Une chose me semble certaine : si sa tête de ce Drægan est mise à prix dans la moitié de la galaxie, ce n’est sûrement pas pour rien.

— Vous pensez vraiment qu’un type qui a quelques milliards de morts à son actif ne vous aurait pas assassiné, ici, au beau milieu d’une foule, pour prendre ce qu’il cherche ?

Il la regarda, soudain méfiant.

— Au beau milieu d’une foule ? répéta-t-il dubitatif.

Elle haussa les épaules.

— Je ne vois pas ce qui l’en empêcherait. Qui plus est, il a des gardes qui le protègent. Il veut, ou il attend, quelque chose de vous, c’est évident. Sinon, pourquoi un extraterrestre s’intéresserait-il à un Terrien ?

De toute évidence, il n’avait pas vu les choses sous cet angle. Cela ouvrait de nouvelles perspectives. Certaines semblaient plutôt bonnes et d’autres carrément mauvaises, à juste raison.

— J'ignore ce qu’il recherche…

— Vous le savez très bien. Et vous l’avez deviné dès l’instant où il vous a mis la main dessus.

Il se garda bien de prétendre le contraire et répondit par une autre question. Il fut aussi direct qu’elle l’avait été :

— Et vous ? Pourquoi tenez-vous tant à ce qu’il devienne votre maître ? Qu’attendez-vous de lui ?

Elle ramena une de ses jambes sur l’autre et afficha un air décontracté, comme si sa situation ne l'inquiétait pas du tout, et en pensant, dans le même temps, que les créatures chevelues lui avaient fourni des chaussures inadéquates pour courir.

— Pensez-vous qu’il peut nous ramener sur la Terre ?

— Je pense qu’il le pourrait, mais que ce n’est sûrement pas dans ses intentions. Et puis, je ne suis pas certain que sa présence sur la Terre soit une bonne chose. Même si vous… même si on lui accorde le bénéfice du doute, il traîne pas mal d’ennemis dans son sillage…

Il ne disait pas que lui-même ne souhaitait pas retourner sur la planète qu'il avait eu tant de mal à quitter, émotionnellement.

Elle fit abstraction de cette observation.

— C’est certain. Les voir débarquer sur la Terre, ça ferait désordre, ironisa-t-elle.

— Cela dit, ils pourraient bien être surpris par l’accueil.

— Cela n’a pas empêché votre ami Drægan d’y avoir quand même ses entrées parce que, pour un extraterrestre, je trouve qu’il parle plutôt bien les langues terrestres… Enfin, au moins une.

— Ce n’est pas mon ami.

Dans le temps présent, songea-t-elle.

Elle frissonna.

— Ça va ?

Elle sursauta légèrement lorsqu’elle sentit la main de MacAsgaill se poser sur son avant-bras. Elle avait ressenti une légère décharge électrique.

Lui aussi apparemment. En plus, il semblait sincèrement inquiet pour elle.

— Oui, je pense… Désolée. J’étais... ailleurs.

— C’est le moins qu’on puisse dire. Pendant quelques secondes, vous sembliez vraiment aux abonnés absents. Vous aviez même cessé de respirer…

— Cela arrive de plus en plus souvent depuis mon passage par le CET.

Il se raidit à l’évocation du Contracteur Espace-Temps. Un pli d’inquiétude apparut sur son front.

— Alors, c’est le Colonel Doherty qui vous envoie ? en déduisit-il. Équipe de récupération, j’imagine ?

— Récupération, admit-elle.

— Juste moi ?

Elle acquiesça.

— Vous pensiez à quelqu’un d’autre ?

Il secoua la tête.

— Ils ne vont pas me lâcher, soupira-t-il.

Elle confirma :

— Ils voulaient vous ramener sur la Terre, que vous le souhaitiez ou non. Peut-être qu’ils trouveront le moyen de le faire. Je pense que mon équipe est rentrée sur la Terre… À cause de moi. Ils doivent penser que je suis morte…Mais ils vont découvrir que ce n’est peut-être pas le cas. Il est possible, alors, qu’une nouvelle équipe soit envoyée à notre recherche.

— Les voyages, avec le CET, sont limités… Pas en eux-mêmes, mais pour l’Être humain. Notre organisme supporte mal le transfert de molécules.

— Je ne suis pas certaine que la santé des troufions soit une priorité, même pour l’AMSEVE. Ceux qui les emploient peuvent engager autant d’hommes qu’ils en auront besoin.

— Le Général Doherty ne ferait pas prendre de risques inutiles à ses hommes, objecta-t-il.

— Le Général est non seulement proche de la retraite, mais tout le monde n’apprécie pas de le savoir à la direction de l’AMSEVE. Dès l’instant où il baissera sa garde…

Elle s’arrêta net un court instant, avant de conclure.

— Sans oublier qu’on le dit malade.

Elle vit une vague de tristesse passer dans les yeux de MacAsgaill.

— Le Général est un homme solide, assura-t-il.

Il manquait de conviction.

 

 



29/08/2017
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