Ihriae-Au fil de l'eau...

Ihriae-Au fil de l'eau...

PART. I - Chapitre 04

- Chapitre 04 -  

 

Pendant vingt ans, Kolya s’acquitta de la mission confiée par Brent avec la plus grande application.
Lorsqu'elle avait été en âge d'y aller, il l’avait inscrite à la New-York University. Il lui avait même trouvé un petit appartement dans un quartier tranquille de la ville.
De toutes les façons, avec toutes les relations que pouvait avoir Kolya, n’importe quel quartier où elle se trouvait devenait tranquille dans la minute.
À l’université, elle perfectionna son apprentissage des langues. Elle y approfondit les notions de chinois, de japonais, de russe que Kolya lui avait apprises durant son adolescence, quelques langues mortes, et des notions de divers dialectes régionaux.
Côté face, elle affichait la figure de l’héritière passablement fortunée, surdouée dans tout ce qu’elle entreprenait, discrète, voire d’une timidité maladive. Elle évitait toute présence sur les réseaux sociaux, conformément aux ordres de Kolya.
Pourtant, elle n’en était pas absente. Il avait engagé quelqu’un pour alimenter une page de son invention. Chaque soir, elle découvrait la veille ce qu’elle trouverait le lendemain. Elle devait se familiariser avec pour ne pas commettre d’impairs.
Elle n’avait eu le droit de l’alimenter elle-même qu’à partir de son seizième anniversaire, sous la surveillance de son tuteur.
Côté pile, après ses entraînements intensifs, elle passait ses rares moments de loisirs à faire des recherches sur les plus grosses fortunes du monde, sur les entreprises cotées en bourses, sur les organismes d’état, sur les États eux-mêmes, ceux qui les dirigeaient et les ressources nationales.
Elle ignorait ce que Kolya voulait qu’elle trouve, mais qu’elle le saurait lorsqu’elle tomberait dessus.
Kolya, lui, avait une certaine idée de la recherche et de la connaissance. Peut- être par esprit de génération, il avait le même amour que Brent pour les citations. À croire qu’ils avaient été élevés ensemble.
Son credo était : "Le vrai pouvoir, C’est la connaissance". Plus elle en saurait sur ceux avec lesquels elle serait susceptible de faire des affaires, et plus elle aurait de leviers sur eux, disait-il.
Elle ne se voyait pas travailler dans le domaine des affaires ou de la politique, mais son instinct lui soufflait qu’il avait raison. Il y avait certaines informations dont elle pouvait avoir besoin, et certaines personnes étaient susceptibles de les lui donner.
Et la plupart d’entre elles ne le feraient pas sans contrepartie.
En dehors de cela, la vie avec Kolya n’était pas tellement différente de celle qu’elle avait menée auprès de son père
Il lui avait appris de nouvelles choses, comme se fondre dans une foule, passer totalement inaperçue quel que soit l’endroit dans lesquels elle évoluait. Quelles que soient les personnes avec lesquelles elle se trouvait.
Il lui avait montré comment se construire une nouvelle identité et à l’endosser durant plusieurs mois.
Elle pouvait désormais s’adapter à la vie en milieu urbain comme en pleine nature. Elle était capable de survivre dans le dénuement le plus total comme entourée des technologies les plus sophistiquées. Elle pouvait évoluer parmi les puissants comme parmi les moins nantis, sans commettre le moindre faux pas.
Son intégration n’était qu’apparente, car elle se sentait toujours différente des hommes et des femmes qu’elle côtoyait. S’en rendaient-ils compte ? Sûrement pas, car son adaptation, elle, était totale.
Elle ne se demandait pas où Kolya avait pu apprendre tout cela. Un homme comme lui avait sans doute une longue expérience dans les domaines du renseignement, de la double identité, voire triple, de la falsification de documents… et du meurtre.
Brent n’avait jamais évoqué la possibilité de tuer un être humain. Il lui avait appris à tuer des animaux. Il l’avait habituée à agir vite, sans causer de souffrances inutiles. Jamais, elle n’avait eu à assassiner des êtres humains.
Nikolaï avait évoqué le sujet dès les premiers jours de ses entraînements. Il lui avait fait comprendre qu’elle devait s’habituer à cette idée, car elle serait peut-être obligée de tuer pour mener ses missions à bien, ou de torturer des hommes ou des femmes pour obtenir des informations ou d’autres choses.
Étrangement, cela ne l’avait pas effrayée. Mais, comme le disait Kolya, penser que l’on peut trucider un être humain est une chose. Le faire en est une autre. Depuis, elle avait appris qu’elle en était capable, et qu’elle n’hésiterait pas à tuer de nouveau si la nécessité devait s’en faire sentir.
Les années étaient passées au rythme des cours à la N.Y.U et des entraînements dans le Wyoming, puis des jobs et des voyages d’un bout à l’autre de la planète, toujours pour apprendre de nouvelles techniques de combat ou parfaire sa culture des langues.
Un jour, elle avait fini par trouver ce qu’elle recherchait grâce à Kolya.
Il y avait d’abord cette histoire d’espèces invasives. Celle-ci avait fini par déboucher sur une affaire autrement plus importante grâce à l’un des informateurs de Kolya, un ancien compagnon d’armes probablement. Il connaissait un hacker susceptible de posséder les renseignements qu’ils recherchaient et les avait rapidement mis en contact.
Le voleurs de données s’était révélé prêt à céder ses découvertes moyennant finances.
Kolya et elle s’étaient d’abord méfiés de cette manne tombée du ciel.
Ils avaient surveillé le hacker à tour de rôle durant les jours précédant la rencontre. Ils avaient pu remarquer, c’était que le type était un véritable hypocondriaque nanti d’un paranoïaque pathologique.
Dans le bar où avait eu lieu la rencontre entre Kolya et l’informateur, Esmelia était restée à l’écart, à la demande de l'ancien espion. Ils n’étaient pas supposés se connaître, au cas où les choses ne se passeraient pas dans le bon sens.
Elle avait joué son rôle en s'installant à une table voisine et en ayant l'air d'attendre quelqu'un.
Elle n’avait rien perdu de la conversation. Celle-ci avait pourtant bien failli s’arrêter après quelques échanges banaux.
Se rappelant soudain qu’il ne connaissait Kolya que par le biais d’une relation, et sentant qu’il essayait de lui tirer les vers du nez, l’informateur s’était quelque peu braqué.
Heureusement, le Franco-Russe était persuasif. Il pouvait même se montrer rassurant lorsqu’il le souhaitait. Après deux verres et une bonne dizaine de blagues sur les hackers vivant en ermites dans la cave de la maison parentale, l’informateur avait oublié ses scrupules et s’était montré loquace.
Les vagues allusions étaient devenues des informations structurées.
L’informateur avait parlé d’un litige au sein de l’ONU qui mettait, face à face, Russes et Américains. Pas seulement.
Les Français et les Allemands étaient du côté de ces derniers, aussi étonnant que cela puisse paraître. Les Anglais aussi, bien qu’un peu plus mitigés dans leurs décisions officielles.
Tout reposait sur la création d’un programme d’exploration spatiale américain. Une décision politique qui faisait suite à la découverte de la succursale Aéronautique & Recherches d’une entreprise européenne. Apparemment, l’ATIDC qui se servait des données fournies par l’AMSEVE pour établir son propre planning de recherche et d’exploration de la Voie lactée.
Pour le hacker, comme pour les Américains et les Russes, les choses n’étaient pas aussi unilatérales. Il lui semblait que l’ATIDC avait elle aussi ses propres données et les fournissait à l’AMSEVE. Leur collaboration allait bien plus en ce sens que dans l’autre. Mais il n’en avait pas eu la preuve. Lorsqu’il avait tenté de pénétrer dans la base de données de l’ATIDC, il en avait aussitôt été éjecté.
Cette relation aurait dû rester officieuse. La corrélation n’aurait jamais dû avoir lieu. En tous les cas, elle avait servi de prétexte pour les États-unis, et sans doute pour d'autres états. La course à la conquête de la Voie lactée autrement que par vol spatial avait commencé.
Mais l'ATIDC ayant une bonne longueur d'avance avait continué à les coiffer sur le poteau.
Sauf que la filiale avait été victime de l’indélicatesse de l’un de ses chercheurs.
Une histoire d’espionnage et de trahison comme une autre.
La maison-mère du groupe avait immédiatement réagi en faisant don de l’une de ses plus importantes inventions, non au monde mais, à l’Organisation des Nations Unies.
Pourtant, officiellement, rien n’avait filtré sur la nature de cette avancée technologique.
Toujours selon l’informateur, ne pas informer le commun des mortels de la nature de la trouvaille prouvait que celle-ci devait être suffisamment importante pour bouleverser le monde, ou la conception que l’on en avait.
Ce que personne ne semblait souhaiter, tant du côté de l’ATIDC, que de celui des Nations unies. Le fait que les Américains n’avaient pas cherché à réagir publiquement, après avoir été éconduits, le confirmait.
Esmelia et Kolya connaissaient bien Aerospace & Terraforming Industrial Development Corporation. Ils y avaient déjà effectué plusieurs piratages informatiques sans jamais rien trouver d’intéressant.
La grande société était plus claire que de la fameuse Eau d’Evian. Ils n’avaient d’ailleurs pas eu beaucoup de difficultés à pénétrer les réseaux de la firme.
De toute évidence, si ce que l’informateur disait était vrai, alors ils avaient été bernés en beauté.
S’ils avaient pu pénétrer dans le réseau de l'ATIDC, c’était parce que celui-ci l’avait bien voulu.
Le système de l’IAE, l’Intelligence Artificielle Entrepreneuriale, était comme un labyrinthe. Tout était fait pour que vous suiviez un chemin bien défini, un fil d’Ariane. Vous pouviez vous en écarter un peu, mais vous finissiez toujours par retomber sur le "bon" chemin.
Tous les autres devaient donc être cloisonnés, et aucune indication ne laissait supposer qu’ils existaient.
D’ailleurs, qui aurait eu l’idée de les chercher ? Ou de passer à travers les cloisons ?
D’après le hacker, l’ATIDC travaillait sur un concept de pont quantique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce projet prenait ses sources dans les travaux d’Einstein et d’Oppenheimer.
Peu avant l’invasion nazie, les deux filiales, française et anglaise, de la société avaient été déménagées au Canada. Le siège social, lui, avait été installé aux États-unis, à New-York précisément.
Son dirigeant, un mystérieux et excentrique homme d'affaires vivant en ermite et refusant de se montrer en public, avait largement participé à l’effort de guerre en fournissant de la matière première aux ingénieurs du projet Manhattan, ainsi que des chercheurs, mais aussi des toiles pour les uniformes et les tentes des soldats alliés, des médicaments et des pièces d'armement.
La guerre terminée, les deux filiales avaient été réinstallées en Europe. D’autres avaient vu le jour en Asie, Afrique et en Amérique du Sud. Pour la première fois un visage apparut à la tête de l'ATDC, celui d'une jeune femme, Etsuko Wong, présentée officiellement comme la fille adoptive de L'Homme Mystère. La presse avait pris l'habitude de surnommer ainsi le vieil original. Sans l'avoir jamais vu, d'ailleurs, tout le monde le supposait suffisamment âgé pour avoir participé à une ou deux autres guerres, voire même d'être une Gueule cassée, ce qui expliquait pourquoi il refusait de se montrer.
Dans un premier temps, Etsuko Wong fut la codirigeante de L'ATIDC, puis quelques années plus tard l'héritière. Entre temps, à la veille de la Peur rouge, en 1950, le siège de l'ATIDC quitta New-york pour le Luxembourg où il se trouvait encore à l'heure actuelle. La firme avait continué à prospérer comme si le conflit n’avait été pour elle qu’une parenthèse.
Au 20e siècle, des années cinquante jusqu’au milieu des années quatre-vingt, les activités des Américains en matière d’espionnage ne se développèrent pas seulement derrière le Rideau de Fer.
Et les Russes, les Chinois, les Allemands de l’Est, comme de l’Ouest, les Français, les Italiens et tous les autres, même en ayant à se remettre de la défaite, avaient fait exactement la même chose avec la même efficacité que leurs alliés ou leurs ennemis.
Le déménagement total de l’ATIDC sur le territoire européen avait été vécu comme une forme de trahison par certains dirigeants politiques et décideurs financiers américains, et surtout selon la propagande du moment, comme un aveu des convictions politiques de ses dirigeants.
Mais il était évident que les aides apportées à la reconstruction des pays touchés par la guerre, l'influence de ses cadres auprès des politiciens européens pour contrer, ou au moins atténuer, une mainmise états-unienne sur différents secteurs économiques en devenir, étaient les véritables raisons de ce ressentiment.
Sans compter que des chercheurs de tous bords, et de toutes nationalités, y compris américaine, avaient préféré travailler pour l’ATIDC plutôt que d’accepter les conditions de travail offertes par leurs propres institutions. Elles étaient pourtant avantageuses. À cause de ce refus, beaucoup d'entre eux avaient été suspectés d’être des communistes.
Avec le temps, les scandales s’étaient effacé. Les hommes d’influence qui les avaient faits naître, croître et exploités étaient morts ou déchus.
Le monde avait changé, et ceux qui le gouvernaient aussi. Un bon siècle plus tard, les ressentiments n'avaient plus lieu d'être. D'autant que le consortium, comme ses dirigeants et ses actionnaires s'étaient toujours tenus loin du moindre scandale politique, financier ou people. Même le divorce, pourtant très médiatisé, de l'une des petites fille de la dirigeante d'avec un ancien premier ministre anglais resté très proche de la famille royale, n'avait causé aucun remous tant il s'était admirablement bien passé.
Cette réputation sans faille n’avait pas empêché que l'ATIDC soit mises sous surveillance constante de part et d’autre du monde, et qu’en réponse celle-ci ait durci ses protocoles de sécurité.
Si la plupart des recherches des filiales de l’ATIDC avaient fini brevetées, copiées, jamais égalées, et figuraient chaque année en bonne place au palmarès des objets les plus utiles à la civilisation humaine, les espions n’avaient jamais rien mis à jour qui mérite l’attention de leurs supérieurs hiérarchiques.
Et puis, il y avait eu cette découverte.
Un pur hasard, ou un coup de chance, échu à deux jeunes chercheurs américains qui passaient plus de temps à observer le ciel nocturne en cuvant l'alcool ingurgité dans de monstrueuses fêtes étudiantes, et à lire des bandes dessinées de science-fiction qu’à potasser une thèse qu’ils traînaient chacun depuis des années.
Les deux apprentis chercheurs avaient découvert un trou de couleur ambre dans le système solaire. Celui-ci se déplaçait comme une planète. Il se trouvait sur le même axe de rotation autour du soleil que la Terre, mais toujours de l’autre côté de l’astre. Ce qui, selon les scientifiques, expliquait pourquoi il passait son temps à jouer à cache-cache avec les télescopes et autres instruments de repérage terrestres.
Ce qui expliquait pourquoi l’un des deux observateurs était persuadé qu’il existait une planète supplémentaire dans le système solaire, jumelle de la Terre. Et pourquoi, pour l’autre, elle devait être très différentes de celles déjà connues. Tous deux l’imaginaient, cependant, à l’extérieur du système solaire, contrairement à cette singularité.
Fiers de leurs découverte, ils l'avaient annoncée sur les réseaux. La nouvelle avait immédiatement été reprise par tous les médias.
Personne, dans le monde scientifique, ne les avait crus.
Simultanément, ils avaient écrit plusieurs articles sur le sujet. Aucune revue n’avait accepté de les publier arguant du fait que leurs méthodes de recherche manquaient de rigueur.
Pire que cela, leurs confrères savants se moquaient ouvertement d’eux dans les journaux, dans les revues spécialisées, sur les réseaux, sur les ondes et sur les écrans. Comment deux parfaits inconnus qui n’avaient même pas réussi à rédiger leur thèse pouvaient-ils prétendre être les découvreurs d’un trou dans le système solaire ? Qui plus était, un amber hole.
Les seuls trous spatiaux connus étaient soit noirs, soit hypothétiquement blancs.
Cela dit, on ne savait toujours pas grand-chose des premiers, quant aux seconds, ils étaient purement spéculatifs.
Personne ne s’était encore aventuré à entrer dans un trou noir pour vérifier si la théorie selon laquelle ils conduisaient vers d’autres régions de la galaxie, ou carrément dans d’autres galaxies, était exacte ou non. Ou encore pour vérifier si l'autre extrémité était un trou blanc. Officiellement.
Etsuko Wong avait été la seule à dépêcher des représentants d’une filiale de l'ATIDC, la Fondation Prométhée, auprès des deux chercheurs. Elle avait souhaité les engager afin qu’ils poursuivent leurs travaux.
En échange, et aussi contre la promesse qu’ils ne parleraient pas de leurs recherches en dehors de leur laboratoire, ils avaient reçu un salaire plus que confortable, et bénéficié de moyens technologiques et financiers quasiment illimités. L’un des chercheurs ne respecta pas les termes du marché, cependant.
Après avoir appris que l’ATIDC s’intéressait à eux. La NSA les avait contactés et avait surenchéri. L'un d'entre eux avait accepté l’argent de sa trahison, sûrement en concertation avec le second histoire de ne pas mettre leurs œufs dans le même panier mais, il ne s’était jamais présenté à son nouveau travail.
L’Agence n’eut plus aucune nouvelle de son investissement. Ce qui l’inquiéta encore plus mais elle resta silencieuse, préférant que personne ne sache qu'elle avait agi en sous-main.
Lorsque le scientifique indélicat les contacta de nouveau, bien plus tard, ce fut pour apprendre à l'Agence de Sécurité Nationale américaine qu’il avait passé plusieurs années loin de la Terre, sur une autre planète.
Les Américain et tous ceux qui les espionnaient, autrement dit le monde entier, mais seulement jusqu'à un certain niveau d'accréditation, apprit que l’hypothétique amber hole avait bien été découvert. Ils durent se faire à l'idée qu'une fois de plus, les chercheurs de la Fondation Prométhée et ceux de l’ATIDC avaient été plus rapides et plus novateurs qu'eux en parvenant à démontrer qu’il s’agissait probablement d’un tunnel spatio-temporel.
Au passage, l’amber hole avait été redéfini comme étant une "singularité spatiale", et le nom qui le définissait était devenu à la fois un nom de code et son nom propre.
On ne l’appelait donc plus seulement l’amber hole, mais aussi Amber Hole comme s’il s’agissait d’un être vivant, une entité intelligente. Ce qu'elle était peut-être.
La difficulté à atteindre cette singularité spatiale, le coût faramineux des voyages et du matériel nécessaire, ainsi que l’impossibilité d’entrer dans le trou de vers sans être broyé par les forces qui y agissaient auraient pu conduire l’ATIDC à classer la découverte comme "sans possibilités actuelles d’exploitation".
Mais un physicien de l'AMSEVE, Darnell Doyle, avait émis l’idée que si un objet solide de taille plus ou moins conséquente ne pouvait pas entrer dans le tunnel, les molécules, elles, le pouvaient.
Il suffisait, d’une part, de mettre au point une catapulte qui enverrait les molécules des objets, ou des personnes, vers l'amber hole dont il faudrait, au préalable, déterminer les coordonnées. Une fois à l’intérieur de la singularité, celle-ci se chargerait d'envoyer les objets, ou les personnes, à destination. Ce serait certes l’inconnu, mais à coup sûr, au bout, il y aurait la découverte d’un nouveau monde.
C’est ainsi qu’avait été théoriquement mis au point le C.E.T. la "catapulte" qui devait faire la jonction entre la Terre et l’anomalie spatiale. Un seul obstacle à sa réalisation : le principe de la dématérialisation nécessaire au fonctionnement du C.E.T. La téléportation n'avait pas encore été mise au point. Les chercheurs de l'ATIDC s'y attelèrent d'arrache-pied. Le temps pour l'AMSEVE d'effectuer six vols relativement discrets vers Amber Hole et d'en rapporter ses premières découvertes extraplanétaires.
Il avait fallu près de vingt ans aux chercheurs de l’ATIDC pour mettre au point la téléportation, mais ils avaient réussi. Ils étaient même parvenus à envoyer du matériel et des êtres vivants sur une planète lointaine et à les faire revenir sur la Terre.
Ce que le retour et le témoignage de l’ex-étudiant en astronomie confirmèrent à ses employeurs officieux.
Sauf si le scientifique leur avait menti. Ils ne l'imaginèrent pas un instant, bien que l'imagination ne soit pas dans leurs attributions premières. Toutefois, ils n’avaient pas pu obtenir beaucoup plus de sa part, car l'explorateur interstellaire qui n'était plus habitué à respirer l'air terrestre pollué, était mort d’une infection pulmonaire foudroyante dans la nuit qui avait suivi son rapatriement clandestin aux États-Unis.
Peu avant de reprendre contact avec l’Agence, le chercheur avait fui son lieu de confinement.
Il avait volé une moto à l'AMSEVE et passé plusieurs heures à sillonner les routes noircies, et de nuit, pour rejoindre une base américaine dans laquelle il avait dû se sentir enfin en sécurité. Il avait ensuite quitté le Pôle Sud en hélicoptère, rejoint un porte-avion états-unien qui avait navigué jusqu’en Argentine. De là, il avait pris un avion direction Washington DC.
Tout cela pour dire trois mots à des types en chemises blanches qui avaient eu du mal à en croire leurs oreilles, et mourir le lendemain à cause d’un air vicié et pollué qu’il n’avait plus respiré depuis des années…
Esmelia était plus étonnée par le fait qu’un individu tel que ce hacker ait pu posséder toutes ces informations sans chercher à les vendre au plus offrant que par leur teneur. Il n’avait même pas discuté le dédommagement de Kolya.
Arrivé au bout de ses révélations, l’informateur avait fini par s’endormir l’esprit trop embrumé pour penser à sa phobie des microbes, la tête posée sur une table de bar, parmi un nombre vertigineux de verres vides.
Écrasé par l’ampleur des révélations, Kolya n’avait rien dit sur le trajet du retour, pas plus que dans l’avion qui les avaient ramenés aux États-Unis. Elle non plus. De nombreuses questions se posaient.
L’un comme l’autre aboutissait aux mêmes conclusions : une telle découverte impliquait non seulement des bénéfices financiers et scientifiques, et surtout la possibilité pour les Terriens de s’installer sur d’autres mondes et, à plus long terme, d’assurer l’expansion de l’espèce humaine au-delà du système solaire et de s’assurer une forme de protection contre d’autres espèces possiblement conscientes et intelligentes. Sans oublier les luttes internes déjà existantes sur la planète. Autant dire que pareilles découvertes devait intéresser de nombreux gouvernements et consortiums.
Était-ce à cause de ce qui ressemblait, sans doute à leurs yeux, à une occasion manquée que les Américains avaient haussé le ton ?
Après tout, par le biais de l’ONU, ils profitaient aussi du C.E.T. Leurs bénéfices n’étaient peut-être pas ceux qu’ils attendaient. Ils espéraient sûrement beaucoup plus.
Des bénéfices financiers, peut-être. Ou bien une nouvelle Conquête de l’Ouest, version spatiale.
Esmelia ne voyait que cela qui puisse expliquer leur mécontentement, accompagné de quelques menaces de sanctions économiques, sans doute. Cela pouvait expliquer la levée de bouclier à leur égard.
S’ils parvenaient à leurs fins, alors tous les pays demanderaient aussi à posséder les mêmes avantages. Où cela les conduirait-il ? Où cela conduirait-il cette planète et tout ce qui y vivait ?
Kolya avait continué à se renseigner pour localiser le C.E.T. Rien n'indiquait qu'il se trouvait bien dans la base de l'AMSEVE. L'informateur n’avait pas su le lui confirmer. Il avait réussi à obtenir des informations en provenance directe du Luxembourg.
Il avait découvert que l’AMSEVE, dans sa version anglo-saxonne, GSAEEL (Global Surveillance Agency of Environments and Extraterrestrial Life), n’apparaissait que comme un département mineur dans l’organigramme de l’ONU. Quelques lignes budgétaires dans les vingt-cinq derniers bilans annuels de l’organisation Internationale, attestaient que les sommes qui lui étaient allouées étaient loin d'être moindres, même s’il fallait être plus qu’un spécialiste des chiffres pour le remarquer. En remontant plus loin, ils auraient retrouvé ces mêmes lignes manquantes.
Selon Kolya, pour qu’un projet tel que le C.E.T. soit mis en place, il avait fallu trouver un site à l’abri des regards tout en faisant partie du paysage. Un endroit qui permettait de poursuivre des recherches sans que cela inquiète qui que ce soit, et en particuliers les autochtones, et surtout sans que personne ne se pose de question sur la présence de militaires ou de blouses blanches concentrées sur un même lieu. Il fallait donc une place isolée de toute civilisation.
Or, depuis quelques décennies, ce genre d’endroit ne manquait pas autour de la planète. D’office, Kolya exclut les États-Unis et tous les endroits où le gouvernement américain exerçait une autorité certaine.
Il retira aussi de la liste tous les États qui refuseraient que l’ONU ou un organisme qui en dépendait puisse faire des recherches sur leurs territoires sans qu’ils en retirent le moindre bénéfice.
Malgré ces deux facteurs, la liste des lieux possibles pour une expérimentation discrète restait longue. Mais plus il avançait dans ses recherches, plus Kolya avait la certitude que le C.E.T. se trouvait en Antarctique dans la base de l’AMSEVE.
Peu après, il s’était arrangé pour que Esmelia intègre l’un des services de l’ONU en tant que traductrice.
La présence, sur son curriculum vitae, d’une spécialisation en langues mortes avait conduit sa protégée dans un service dépendant directement de l’AMSEVE.

 

 



10/07/2020
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