Ihriae-Au fil de l'eau...

Ihriae-Au fil de l'eau...

PART. I - Chapitre 02

- Chapitre 02 -

 

Quelque temps après l’enlèvement d’Olive, les rondeurs de sa future maternité apparurent brutalement. Comme si après l’avoir longtemps refusé, son corps s’était fait une raison. Olive n’avait plus quitté sa chambre jusqu’à la naissance de sa fille. La sage-femme qui l’avait aidée à accoucher, effrayée, avait juré avoir tenu entre ses mains un nouveau-né sans souffle, ni battements de cœur. Mais comme un écho à la vie envolée de sa mère, le bébé s’était soudainement mis à respirer. Son arrivée dans la vie tenait du miracle.
L’enfant avait un regard que la sage-femme et le médecin n’avaient jamais connu chez un bébé. Des yeux qui semblaient dire « je sais tout de vous, je vous connais, je sais exactement qui vous êtes… ».
Cela les effraya encore plus que l’absence de vie initiale chez ce nouveau-né.
Durant toutes sa vie, cette enfant, qu’Adam prénomma Audrey, dût faire face à la méfiance des habitants du Comté. Elle le quitta lorsque que la première occasion se présenta. Elle se maria à son tour, décéda, comme sa mère et sa grand-mère, en donnant naissance à son unique fille.
Il en fut ainsi pour toutes les descendantes d’Anna-Louise comme si une malédiction, sortie d’un tombeau syrien planait sur leur tête.
Une fatalité qui portait un nom, Mead’, et qui, tel un parasite, se déplaçait de corps en corps, au gré des naissances, ne laissant derrière elle que des enveloppes vides de toute vie.
Elle ne pouvait rester que quelques décennies dans un même corps humain. Généralement pas plus de la moitié de l’espérance de vie d’un Être humains. Elle devait s’assurer du passage d’un corps à un autre. Seule la procréation le lui permettait.
Mead' n’avait pas le loisir de laisser passer son unique chance de survie. Les risques étaient présents à chaque instant de l’existence de ces fragiles créatures qu’étaient les humains.La naissance d’Olive avait été celle de sa première transition.
En sept générations, Mead’ traversa le XXe siècle et plus de la moitié du suivant pour arriver jusqu’à Esmelia Danatess Evihelia.Elle savait qu’à chaque transition, elle s’affaiblissait tandis que ses hôtes successifs prenaient de plus en plus de force.
Combien d’existences devrait-elle encore traverser ?
Après une dizaine de générations, la conscience des êtres qu’elle investissait ne s’éteignait plus à la naissance, sans pour autant développer une âme telle que les Humains la percevaient. Elle restait un simulacre mais en plus d'être imprévisible, l'hôte pouvait devenir folle ou carrément dangeureuse. Et pour elle, Mead'...
Elle chassa cette pensée. Plus tard !
Oui. Elle y songerait plus tard.
À cela s’ajoutait l’approche des siens. Elle les sentait aux portes du système solaire. Leurs appels se faisaient de plus en plus forts.
Durant ces deux siècles d’existence au travers de la lignée d’Anna-Louise, Mead’ n'était pas parvenue à retrouver ‘Ran, et n'avait revu Baal qu'une seule fois, avant de le perdre à nouveau. Comme si l’un comme l’autre, ils n'avaient pas souhaité être retrouvés.
Elle n'avait pas perdu tout son temps. Elle avait mis en place les jalons de son plan. Elle avait rencontré des alliés, parfois même les avait sortis de mauvaises situations. Leur disparition aurait pu devenir des failles fatales à son plan.
Esmelia Danatess-Evihelia avait ouvert les yeux, en Irlande, à Dublin, un jour de l’hiver le moins froid du milieu du vingtième-et-unième siècle. Il n’avait pas neigé depuis près de vingt ans en Europe, et les pluies noires n’avaient cessé de tomber depuis quatre mois.
Partout ailleurs, en Europe comme en Amérique, les autorités avaient renoncé à nettoyer les immeubles au milieu du printemps ou en été. Ils étaient donc devenus noirs de pollution. Tant et si bien, que ces dernières années, ils étaient construits ou peints en couleurs sombres.
La végétation étouffée par les particules polluantes avait déserté les villes et leur périphérie, de même que les animaux. Ceux qui étaient encore aperçus étaient des animatroniques, souvent des estropiés errant dans les rues. Ils étaient à peine en état de fonctionner pour la plupart.
Ne restaient donc que les humains sous leurs imperméables transparents qu’ils désinfectaient dans les sas d’entrée, une nouvelle pièce de la maison ou des appartements apparue vers la fin des années 2030. On en trouvait aussi à l’entrée de certains bâtiments publics.
Avant même d’établir des connexions dans le cerveau encore vierge de son nouvel hôte, et de savoir exprimer ses pensées, Mead’ avait su que cette incarnation serait la dernière de la lignée. Ce serait dans cette vie-là qu’elle devrait achever sa mission. Elle le sentait comme si elle avait filé le destin de son hôte la veille.
Si elle se trompait, il lui faudrait se mettre à la recherche d’une nouvelle enveloppe, physique capable d’amorcer une descendance, un nouveau cycle…
Une de plus. C’était une possibilité. La Fileuse avait prévu toutes les éventualités, ou presque. Un seul évènement imprévu au moment du tissage de la trame du temps pouvait apporter son lot de variantes plus ou moins importantes. Et il y en avait eu. Un certain nombre même.
Combien de vies avait-elle vécu ? Combien d’incarnations ? Elle ne se souvenait que des plus récentes, à partir d’Anna-Louise.
Chaque lignée s’achevait avec la prise de conscience de l’une de ses descendantes, ses filles.
C’était ainsi qu’elle les considérait. Pas seulement comme des coquilles, des peaux, des chairs dans lesquelles elle se glissait dès leur naissance, après avoir éliminé l’embryon de volonté et le simulacre d’âme dans le processus.
Deux consciences ne pouvaient habiter un même corps sans conséquences visibles. D’autant plus, si l’une d’entre elles était extraterrestre et l’autre un fantôme.
Au cours de leur Histoire, les humains avaient brûlé des femmes et des hommes pour moins que cela. D’autres civilisations, dans la galaxie, en avaient fait de même.
De plus, le cerveau humain, ou l’âme humaine, contrairement à ce qui existait chez d’autres espèces, ne semblait pas être fait pour cohabiter.
Toutes ses dernières vies passées lui avaient appris que son hôte et elle avaient besoin de l’une de l’autre. Se protégeant mutuellement, elles étaient en parfaite symbiose. Dans l’univers, de nombreuses espèces animales, végétales ou autres fonctionnaient ainsi. Sur Terre, il y avait les termites, et dans la galaxie, elle connaissait trois ou quatre espèces douées de conscience ayant développé ce principe. Les Drægans en faisaient partie.
Si l’un d’entre eux avait survécu, pourquoi pas d’autres ?
Elle se souvenait d’une guerre intestine qui avait anéanti les dernières Maisons drægannes après que celles-ci aient survécu au soulèvement des civilisations sur lesquelles elles étaient supposées veiller en tant que leurs dieux.
Quelle que soit l'espèce, le processus symbiotique restait complexe et le résultat incertain.
En ce qui la concernait, c’était moins la procédure que l’idée même de changer de lignée d’hôtes qui la contrariait. Pouvait-elle se le permettre, même pour engendrer une nouvelle descendance qui lui resterait soumise. L’ennemi était si proche. Dans moins d’un siècle, il aurait achevé son œuvre en détruisant toutes les formes de vie de la galaxie. Sauf si elle mettait son plan en action. Elle ne serait pas du voyage, elle le savait. Pas de la façon dont elle l’aurait souhaitée. Elle ne ferait que l’amorcer. Ensuite, tout dépendrait de Baal et de ses alliés.
Elle n’avait pas le choix. Elle devrait agir dans cette vie présente. Esmelia mènerait la partie de la mission qui lui était assignée, et Mead’ s’éveillerait le moment venu pour conduire la sienne.
Malgré tout le temps dont elle avait disposé jusqu’à ce jour, elle avait l’impression qu’il lui restait tant à faire. Elle ne parvenait pas à mesurer tout ce qu’elle avait déjà construit. De plus, elle ne se souvenait que d’une toute petite partie. Elle le regrettait. La Horde était proche.
Elle était vulnérable, fragile… et repérable. Elle le sentait.
La Horde, la Nuée, la Meute, la Cohorte… SON peuple… et les Terrannihilisateurs, ou quels que soient les noms qui leur avaient été donnés dans différents systèmes de la galaxie : Rétameurs, Epinceurs, Laminoirs, Noctiblancs, Nautes stellaires, Chasseurs de mondes, Écorcheurs de planètes, planéticides, galacticides ou encore Terrassiers, Créateurs, Rénovateurs, Géniteurs, Dieux …
Elle les sentait, quelque part au sein de la voie lactée, et si proches du système solaire auquel appartenait la Terre.
Au contact de ces conquérants impitoyables, son peuple était devenu leur bouclier, leur avant-garde destructrice et leurs assassins les plus efficaces. Tous ceux de son espèce avaient subi la contamination des envahisseurs et avaient ainsi scellé le destin de milliers de galaxies.
Par sa nature, même après avoir quitté les siens depuis si longtemps, Mead’ restait profondément liée à eux.
Peu avant l’invasion des Terrans, les membres de son peuple formaient un tout, une sphère pensante, un même esprit. Ils ne toléraient pas les parties manquantes comme elle aujourd’hui, pas plus que celles qui étaient défectueuses, ou en surplus comme 'Ran. Cela brisait l’harmonie de leur structure. Il leur fallait soit réparer, soit oblitérer définitivement. C’était dans leur caractère naturel.
Elle était l’une de leurs mères et ils ne pouvaient pas l’oblitérer. Lorsqu’ils prendraient conscience de sa présence proche, ils chercheraient à la récupérer, à replacer dans leur collectif.
Elle savait qu’elle n’opposerait aucune résistance à cela. Peut-être même devancerait-elle leur appel parce qu’elle ne voulait pas les abandonner à leur sort.
Chez de nombreuses espèces évoluée, les mères n’abandonnaient pas leurs enfants, même contraintes et forcées, au moment crucial de leur existence. Ce n’était pas une règle immuable à l’échelle de l’univers, mais ça l’était chez les Tisseurs.
'Ran…
Elle n’avait plus pensé à lui depuis longtemps alors qu’il était si important pour la mission… Bien plus qu’elle.
Si elle ne parvenait pas à accomplir sa part, ce serait à lui de prendre le relais. Il devrait poursuivre sa mission en plus de la sienne.
Parviendrait-il, contrairement à elle, à échapper à la Horde et à ses maîtres ? Elle ne pouvait que l’espérer.
'Ran avait toujours été différent. Il ne s’était jamais senti lié à eux.
Ce n’était pas une question de perception, ou de sentiments qui lui étaient propres. C’était un fait.
C’était pour cela qu’elle l’avait choisi. Cette différence le rendait imprévisible, incompréhensible pour les Tisseurs. Il les avait toujours perturbés, effrayés même, au point d’avoir été exclu de leur communauté. Ce serait ce qui le sauverait. Cela suffirait-il ?
Au cours de ses dernières incarnations, elle n’avait trouvé aucune trace de sa présence sur la Terre. Elle ne pouvait imaginer sa non-existence ou sa dissolution au profit d’une conscience plus forte que la sienne.
Peut-être ’Ran ne s’était-il pas encore réveillé comme elle… Ou bien le processus d’intégration avait-il modifié sa nature le rendant impossible à détecter. Était-ce une bonne chose ?
Pas en ce qui la concernait, car elle ne pourrait pas entrer en contact avec lui.
La Horde ne pourrait pas le retrouver non plus. Elle ne chercherait pas ce qui n’existait pas. Pas tant qu’on ne lui en donnerait pas l’ordre.
Enfin, elle avait choisi 'Ran parce qu’il serait insensible à leur appel. Différent des autres Tisseurs, il n’aurait pas à subir leur sort en vivant sous le joug des Terrans.
Même elle, elle ne ressentait pas sa présence. Elle espérait qu’il soit pourtant sur la Terre, à l’heure actuelle, et, surtout, qu’il soit conscient de sa mission et de l’importance de celle-ci. Autrement...
Autrement, tout espoir de survie serait vain. 
Combien de temps faudrait-il à la Horde pour arriver dans ce système solaire ? Cent ans ? Non. Beaucoup moins. Elle n’était qu’à trois ou quatre systèmes solaires de distance de celui de la Terre. Cinquante ans, au maximum. Le temps d’épurer une demie douzaine de planètes.
Sauf si les Terrans trouvaient le moyen d’aller plus vite en réduisant les distances entre les mondes.
Combien de galaxies avaient-ils déjà traversées avant d’arriver dans la Voie Lactée ? Combien de systèmes solaires avaient-ils refaçonnés selon leurs besoins, leurs envies ? Combien de planètes, de mondes vivants avaient-ils déjà détruits ? Combien d’êtres, d’organismes pensants avaient-ils assimilés dans leurs armées, ou réduits en esclavage, pour leur armée intergalactique ?
La présence de créatures extraterrestres échouées sur la Terre était la preuve de leur progression et de leurs exactions dans les mondes qu’ils avaient déjà colonisés. Dans la galaxie, la Terre n’était sûrement pas la seule planète à être l’objet de cette vague de migration.
Certains migrants étaient parvenus jusqu’à la Planète bleue quelques centaines d’années auparavant. D’autres étaient revenus sur un monde qu’ils avaient dû quitter entre deux grandes extinctions. Ils avaient eu la malchance d’y retrouver un lieu de vie qui ne leur était plus adapté, mais ils n’avaient d’autres choix que d’y rester. La plupart d’entre eux étaient arrivés au cours des tous derniers siècles, et tous vivaient en clandestins, pourchassés par le CENKT.
Les naufragés étaient venus se réfugier moins par désir, et calculs de pilotage, que par chance, sur la seule planète qu’ils pensaient protégée de leurs ennemis parce qu’elle n’apparaissait sur aucune carte.
Mead' en était venue à la conclusion que si les données de navigation étaient inexistantes, c’était parce que quelqu’un les avait faites disparaître.
Était-ce le même individu qui avait eu accès aux bases de données pour les modifier que celui qui avait su créer une machine, un mécanisme capable d’occulter non seulement une planète, mais un système tout entier ?
Une seule certitude, aucun appareil de navigation, quel que fut son degré de perfectionnement n’avait pu repérer la Terre durant près de millénaires.
Bien des envahisseurs avaient sans doute manqué ce système, ou l’avait traversé, sans le voir. Peut-être y avait-il eu des sentinelles pour veiller à ce que ce soit le cas, et pour réparer le dispositif d’occultation en cas de défaillance.
Sauf que la machine ne fonctionnait plus aujourd’hui, et aucune sentinelle ne semblait capable de la réparer.
Elle était tombée en panne. Un simple accident mécanique.
Une information dont elle avait eu connaissance lorsqu’elle était encore auprès des siens et qu’elle avait gravée de manière indélébile dans son esprit.
À moins qu’il ne s’agisse d’une déduction. Les arrivées étaient plus fréquentes depuis quelques décennies, d’une part. D’autre part, après des centaines d’années de bon fonctionnement, il n’était pas franchement anormal que la machine et son système de protection aient besoin d’une bonne révision.
Rien n’était immuable, infaillible, ni même infini dans l’univers.
Toutefois, trouver des gardiens mécaniciens pour cette tâche relevait de l’impossible. Ce genre de main d’œuvre était plutôt rare, voire inexistante, et le travail bien ennuyeux et ingrat.
Bref, personne n’avait ressenti l’urgence de réparer L’Occulteur d’une planète devenue un mythe pour le reste de la galaxie.
Sauf, une fois de plus, que cela ne tombait pas au bon moment.
Quasiment personne sur la Terre ne savait que les Terranihilisateurs et la Horde avançaient inexorablement vers le système solaire de la Terre. Et les rares qui étaient au courant n'avaient aucun intérêt à se montrer au grand jour. Pas encore.
Par conséquent, elle devait retrouver le seul individu capable de remettre le mécanisme en marche, ou de vaincre les envahisseurs. Enfin… peut-être... de les vaincre. Là-dessus, elle n’avait aucune certitude.
Avant tout, elle s’était donné pour mission de retrouver celui qui pourrait avoir les moyens de sauver un maximum d’espèces dans cette galaxie. Pas celui qui possédait le cœur de ce mécanisme capable de cacher un monde aux yeux des dieux eux-mêmes. Sauf s’il s’agissait de la même personne. S'il s’agissait de Baal.
Mais le retrouver ne suffirait pas.
Non seulement, il faudrait remplacer le cœur de la machine, mais il serait nécessaire de remettre le mécanisme en route, de le réamorcer.
À cela, elle entrevoyait déjà de nombreuses difficultés.
Avait-il seulement le cœur de L’Occulteur encore en sa possession ? Sinon, saurait-il le retrouver ?
Cela faisait plus d'un siècle qu’elle n’avait plus vu, ni entendu parler d’Adad Melqart, Baal le Jeune. Cet objet, elle l’avait volé sous les traits d’Anna-Louise, il y avait plus deux siècle, aurait-elle dû le garder et le cacher ? Pourquoi n’y avait pas songé alors qu’il se révélait aujourd'hui si important ?
Pourtant, le cœur de L’Occulteur de Mondes n’était qu’une petite partie d’une formidable machinerie. Où se trouvait celle-ci ?
Elle ne l’avait jamais su.
Nul ne savait à quoi ressemblait cette machine.
Elle pouvait se trouver n’importe où dans ce système. Sur une planète, sur un satellite ou même quelque part se baladant dans l’espace, sous la forme d’un objet inconnu ou d’un morceau de roche ? Peut-être même qu’elle voyageait d’un endroit à un autre afin de ne pas être découverte…
Si elle n’était pas retrouvée et remise en fonction avant l’arrivée des Terrannihilisateurs, ceux-ci anéantiraient chaque planète du système solaire dans lequel évoluait la Terre, comme ils l'avaient fait pour celles d'autres systèmes de la galaxie…
Seuls Baal l’Ancien et Darius auraient pu expliquer à quoi ressemblait la machine à laquelle appartenait le cœur de L’Occulteur de Mondes, et où elle pouvait se trouver exactement.
Darius était mort, assassiné. Quant à Baal l’Ancien, il avait disparu peu après, emportant avec lui son secret, ainsi que l’autre possibilité de sauver ce qui pouvait l’être.

C’était arrivé bien avant que la machine cesse de fonctionner.

En avaient-ils prévu l’éventualité ? Avaient-ils une sorte de plan B pour quitter la planète ou s’y cacher si profondément que nul ne pourrait les retrouver ?

Il ne restait que l’un des fils de Baal l’Ancien pour le savoir.

Adad Melqart était le seul à avoir survécu à la purge qui avait eu lieu à la mort de Darius. Il n’était encore qu’un enfant, il y avait deux millénaires. De quoi se souviendrait-il ?

Le Baal adulte saurait-il retrouver le reste de L’Occulteur, y replacer son cœur afin de le réparer ? Et si l’ancien dieu s’était affilié aux Terrans, comme beaucoup d’autres, ou bien s’il avait été livré à eux par ses ennemis ou d’autres Drægans ?

Les Drægans n’étaient pas connus pour leur sens de la loyauté, et Baal n’avait jamais fait l’unanimité parmi eux.

Non, c’était impossible. Il était bien trop malin pour être pris, et trop indépendant pour être soumis à qui que ce soit.

Il y avait une autre difficulté…

Où que Baal se trouve, s’il était encore de ce monde, mieux valait qu’il possède un vaisseau spatial à sa disposition. Autrement, il aurait des difficultés pour trouver et atteindre la machine si elle ne se trouvait pas sur la Terre.

De cela, Mead’ en était persuadée.

À sa connaissance, il n’y avait plus aucun vaisseau spatial terrien, encore moins un bâtiment de guerre ou de sauvetage capable d’emporter un équipage au-delà de Pluton.

Depuis cent-cinquante ans environ, la conquête de l’espace avait fait partie du quotidien de Mead'. Vers le milieu du XXIe siècle, le temps des plus grands astrophysiciens, radioastronomes et planétologues, et les ressources de quasiment tous les pays avaient été consacrés à la recherche spatiale, à la construction de vaisseaux capables de voler jusqu’à la planète Mars, jusqu’à Europe, Callisto et Ganymède, trois des quatre satellites galiléens de Jupiter, jusqu'à Titan l’une des lunes de Saturne, et à l’établissement des stations spatiales orbitales et des bases planétaires. Une mission habitée avait même été envoyée observer Titania, le satellite d’Uranus.

L’objectif initial était la sauvegarde de l’humanité. Si l’une de ces bases extraterrestres venait à être attaquée d’une manière ou d’une autre, cela devait permettre aux dirigeants des autres bases et aux autorités de la Terre de se préparer à la riposte. Et si la planète bleue voyait un jour une extinction massive, les satellites devaient tenter de garantir la survie des espèces, en particulier l'Humanité.

Le premier vaisseau était parti pour Mars l’année de sa naissance. Il avait fallu dix ans pour que les premières bases lunaires martiennes soient opérationnelles, les autres avaient suivi. Cinq ans après le début de chaque édification, les premiers colons y avaient été envoyés. Mais tout s’était arrêté brutalement vers la fin des années 2080. La faute à un espace extrasolaire encombré.

Depuis que les Russes et les Américains avaient envoyé des objets dans l’espace, c’est-à-dire après la Seconde Guerre Mondiale, il n’y avait pas eu une année sans qu’un satellite ou une fusée quitte la Terre sans jamais y revenir, du moins dans son intégralité.

Après plus de cent ans, il était normal que l’espace extraterrestre soit encombré de morceaux d’astronefs. Sans compter la présence de quelques épaves de vaisseaux extraterrestres à la dérive. Les uns percutant les autres.

Chaque impact produisait des morceaux toujours plus petits, au point de tresser un maillage étroit autour de la Terre, et de rendre difficile le passage de vaisseaux terrien vers l’espace. Le risque d’être percuté par un fragment ou une pluie de fragments était trop important. Des équipages entiers transportant des colons avaient été perdus à la suite de mauvais calculs de trajectoires qui, de toutes les façon, étaient trop souvent imprécises ou aléatoires.

Cette frontière de débris extrasolaires avait aussi pour autres conséquences de réduire l’apport de lumière et de chaleur et de participer à l’effet de serre. La Terre avait une hygrométrie cinq fois supérieure à celle de la fin du XIXe siècle, époque où les neiges couvraient encore les Pôles et les sommets les plus hauts de la planète en permanence.

La construction de vaisseaux coûtait excessivement cher, et le risque de les perdre à peine quittés la planète était trop grand. Une grande partie de l’opinion publique n’acceptait plus ce fait. Officiellement, le programme d’exploration spatiale avait donc pris fin quasiment du jour au lendemain.

Elle savait qu’Adad Melqart aurait nécessairement besoin d’un vaisseau que de l’aide de compagnons fidèles.

En l’état actuel des connaissances technologiques terrestres, espérer voyager en dehors du système solaire d’ici moins de vingt ou trente ans relevait de l’impossible.

Les XXe et XXIe siècles avaient été des périodes de progrès, Mead’ n’en doutait pas, mais où en seraient-ils dans quinze, vingt ou vingt-cinq ans ? Il fallait que Baal ait son propre vaisseau. Autre problème, L’Occulteur de mondes avait été conçu pour protéger, et sans doute pour SE protéger. Elle devait donc être piégée. Le fait qu’elle soit tombée en panne y changerait-il quelque chose ?

Des compagnons...

Il ne pouvait être seul pour assumer cette tâche.

Tous les sauveurs de l’humanité avaient eu des compagnons. Là, ce n’était pas seulement de l’Humanité dont il était question.

Elle décida que retrouver Baal serait sa priorité pour les vingt, trente ou quarante années à venir. Peu importait le temps que cela prendrait. Pourvu que ce soit avant l’arrivée des Terrans.

Il possédait un cœur destiné à la machine. Si ce n’était pas le cas, elle l’aiderait à le retrouver. Ensuite, ce serait à lui de résoudre les problèmes qui se poseraient.

      
 


 



10/07/2020
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