Ihriae-Au fil de l'eau...

Ihriae-Au fil de l'eau...

PART. I - Chapitre 07

- Chapitre 07 - 

 

Esmelia se souvenait de son réveil. Elle n’eut aucune difficulté à se souvenir qu’elle se trouvait sur une autre planète que la Terre.
Les scientifique de l'AMSEVE l'avaient appelée Féloniacoupia. Ils avaient traduit ce nom à partir des documents qu’ils possédaient sur la partie de la galaxie dans laquelle se trouvait la planète.
Dans quel système exactement, elle l’ignorait comme tout le monde au moment du départ. Il leur fallait plus d'informations pour cela. Peut-être auprès des autochtones, et sûrement à l'aide d'un SEO, un mini Satellite d'Exploration et d'Observation, que l'ingénieur aéronautique lancerait dans l'espace, à partir de la planète. Il enverrait ses coordonnées et ses images de la zone spatiale où il se trouvait à la Terre qui les recevrait dans quelques décennies. En attendant de connaître le nom local, ce serait les Terriens qui baptiseraient temporairement ce système.
Elle savait seulement qu’il se situait dans l’Écu-Croix, l’un des bras de la Voie Lactée.
Jusqu’ici, les Terriens n’avaient pas été trop mal chanceux. Enfin, il y avait tout de même eu trois accidents. L’un où ils avaient dû ramener des corps dans des sacs. C'était lors dd l'une des toutes premières explorations. Une autre, la dernière mission avant la sienne, où l’un des membres de l’équipe avaient déserté.
Elle était le troisième cas qui serait sans doute qualifié d’accidentel.
Elle ressentait encore le coup qu’elle avait reçu sur la tête, mais sa conscience remontait à la surface.
Pour une autre personne, sa situation actuelle aurait pu être le début d’un cauchemar. Cela ne l'effrayait absolument pas. Au contraire, elle se sentait plutôt calme, tous les sens en alerte. Elle gardait les yeux clos pour mieux analyser les premières impressions sur son nouvel environnement.
Elle avait d’abord senti une forte odeur d’excréments, puis de bile, de sueur et de sang. Elle avait ensuite entendu des voix, sans les comprendre. Certaines étaient basses, teintées de craintes, d’autres impérieuses.
Elle eut beau se concentrer, tout ce qui l’entourait échappait à sa compréhension. À plusieurs reprises, elle crut entendre des termes empruntés au vieux norrois, mais elle ne put leur donner une signification.
À quoi cela lui avait-il donc servi d’avoir beaucoup voyagé, de s’être immergée dans la culture des différents pays qu’elle avait visités ? Elle n'était même pas capable de traduire quelques mots d'une vieille langue. À sa décharge, celle-ci avait eu quelques millénaires pour évoluer.
Elle parlait plusieurs langues, comprenait plus ou moins quelques dialectes, sans compter quelques mots et expressions de patois français et canadien, le langage des signes, l’espéranto. Elle avait même appris, avec une facilité qui en avait déconcerté plus d’un dans son entourage, les langues elfiques de Tolkien. Les Terriens ignoraient qu’elles n’avaient pas vraiment été inventées. L’écrivain et chercheur universitaire avait travaillé, un temps, pour le CENKT. Comme Charles Darwin, il n’en faisait pas partie, mais en tant que linguiste réputé, l’organisation secrète avait fait appel à lui pour traduire certaines langues extraterrestres. Les responsables de l'agence avaient toujours pris soin de ne lui demander que des traductions de textes lacunaires.
Loin de s’en offusquer, l’érudit s’en était servi comme base pour élaborer ses différents langages elfiques. En les rendant publiques, nul n’avait pu dire, au sein du CENKT, qu’il avait trahi un secret d’État. Il était même possible que ses agents se soient servi de cette indiscrétion en mettant sous surveillance tous ceux qui s'étaient intéressés à l'œuvre de l'auteur, et en particulier à ses talents de linguiste.
Lorsqu’elle ne connaissait pas une langue ou lorsqu’elle éprouvait des difficultés à la comprendre, il lui suffisait d’observer son interlocuteur, et de faire confiance au contexte. Son don faisait le reste. C’était inné. Soudain, il y eut la douche froide.
Toute à sa réflexion et à l’analyse de sa situation, Esmelia ne l’avait pas sentie venir.
Quelqu’un venait de lui jeter à la figure l’équivalent d’une cruche entière d’eau glacée.
Quelqu’un, probablement la même personne, lui aboyait dessus maintenant. Qui que ce soit, il allait le payer à un moment ou à un autre.
Elle ouvrit les yeux.
Deux humanoïdes, ou ce qui pouvait y ressembler de très loin, notamment pour l’un, la fixaient de leur regard sans intelligence apparente.
Elle les observa elle aussi.
L’un était massif. Il devait mesurer un peu plus de deux mètres. L’autre était à peine plus grand qu’elle, sec et tout en muscles. Tous deux avaient des têtes de monstres de dessins animés, ou de films d’horreur des premiers âges du cinéma. Elle décida de les surnommer, ironiquement, Belle-Gueule I et Belle-Gueule II.
Belle-Gueule I semblait avoir été le fruit assez récent d’un croisement entre un gros poisson et un insecte. Peut-être, à cause de ses longues antennes au sommet de sa tête. Sa face massive évoquait celle d’un requin marteau. Il avait deux petits yeux noirs perçants qu’un fond jaune faisait particulièrement ressortir. Son cou et ses épaules se confondaient et se fondaient sur de larges pectoraux. Ses avant-bras étaient énormes et se terminaient par une main à trois doigts. Ses jambes, frêles, presque fragiles contrastaient avec le haut de son corps. Il portait des sandales laissant apparaître trois doigts de pieds. Sa peau, bleu turquoise, striée de bandes plus sombres avait un aspect velouté et sec. Pour tout vêtement, il ne portait qu’un pagne cachant son bas ventre et ses fesses.
L’autre était à peine plus vêtu. Un tartan de couleur sombre lui ceignait la taille. Dans le dos, il portait un carquois. Sa peau imberbe et parfaitement lisse était grise. Son visage aurait pu ressembler à celui d’un humain, sauf qu’il n’avait pas de nez, pas d’oreilles, pas d’arcades sourcilières. Il semblait flétri, parcouru par deux longues proéminences osseuses partant d’une bouche fine pour atteindre le front. De chaque côté, deux yeux ronds entièrement sombres. À la place des cheveux, il avait de fines écailles aux motifs réguliers. Enfin, à l’arrière de son crâne, d’un côté à l’autre, il portait une crête rigide aux reflets de couleur parme.
En baissant les yeux, elle remarqua que les jointures de ses jambes étaient inversées par rapport à celle de son compagnon, ou à un humain.
Chacun des deux individus l’avait saisie par un bras et l’avait relevée sans ménagement pour la sortir de la charrette en bois dans laquelle elle se trouvait.
Elle avait tenté de résister à nouveau, juste ce qu’il fallait pour leur faire croire qu’ils étaient bien les plus forts.
Ensuite, Belle-Gueule I l’avait traînée jusqu’à une tente rouge et verte et poussée entre les mains de deux petits humanoïdes femelles à la peau orange et noire.
Aussi curieux que cela paraisse, l’une n’était vêtue que de sa propre chevelure. L’autre portait une robe en voile translucide sous ses cheveux.
Esmelia n’avait jamais vu de pareilles toisons, aussi longues et aussi épaisses. Leurs cheveux ressemblait à de la laine à peine filée qui aurait été tissée à même le corps.
Les deux créatures ne les avaient sûrement jamais coupés de leur vie.

Les deux extraterrestres étaient menues et avaient une tête de moins qu’Esmelia. Elles avaient un visage de poupée : un petit nez, une petite bouche ourlée, des pommettes hautes et de grands yeux légèrement en amande.

Elles la déshabillèrent en silence sans s’occuper de ses protestations pour la toiletter.

Esmelia regarda autour d’elle. Elle était loin d’être la seule dans cette situation. La scène était répétée des dizaines de fois. D’autres créatures à la peau orange et noire et à la chevelure tissée autour de leur corps s’affairaient d’un individu à l’autre. Des êtres de toutes sortes et de toutes couleurs, des mâles, des femelles, d’autres de sexe indéterminé, et même des petits… des enfants se laissaient docilement passer de nouveaux vêtements, ou seulement de simples parures. Aucun n’avait l’air de subir son sort. L’effervescence qui régnait sous cette tente semblait même relativement festive.

Les habilleuses ne montraient aucune violence envers ceux dont elles avaient la charge. Au contraire, elles mettaient beaucoup de douceur dans leurs gestes.

Elle-même se sentait apaisée. Peut-être aussi à cause de leur étrange chant qui était comme un bourdonnement hypnotique, ou de la pommade qu’elles avaient appliquée sur son corps.

Ensuite, elles lui avaient choisi de nouveaux vêtements, propres et frais. Tous différents, ils étaient adaptés à chaque type de morphologie et destinés à la mettre en valeur. Elle eut droit à une tunique blanche qui lui tombait au dessus des genoux et lui laissait les bras et les épaules nus.

Les mâles les plus jeunes et les plus musclés portaient des tenues minimalistes que n’auraient pas reniées les Kouroï de la Grèce antique.

Certaines créatures de genre apparent féminin en avaient à peine plus sur le dos. Elles ne semblaient pas s’en formaliser. Leur corps était fortement parfumé et leur visage était excessivement fardé.

À elle aussi, on avait essayé de lui imposer le lourd maquillage local, mais elle avait tout enlevé dès que les costumières s’étaient détournées d’elles.

Un garde, qu’elle surnomma Belle-Gueule III, l’avait vue faire. Il était ce qui se rapprochait le plus d’un être humain. Même s'il semblait avoir du sang d’Orc dans les veines, sa figure et son corps massif, humanoïdes, l’attestaient. Ses traits conservaient une certaine grâce qui ne devait rien à la bête qui était en lui.

Il l’avait regardée un moment avec une insistance mêlée d’étonnement et de curiosité.

Un court instant, elle s’était demandé si elle pourrait s’en faire un allié, mais elle avait aussitôt abandonné l’idée.

Elle avait l’impression de se trouver dans les coulisses d’une pièce de théâtre ou d’un spectacle de parc d’attraction. Mais, pour autant qu’elle le sache, les acteurs n’étaient pas réveillés à coups de seaux d’eau glacée sauf, à la limite, lorsqu’ils étaient trop ivres pour ressentir quoi que ce soit d’autre.

Au bout d'un moment, elle remarqua que ses geôliers la surveillaient moins étroitement. Elle commença par fureter sous la tente, puis se décida à sortir.

À l'intérieur, personne ne chercha à la retenir.

Cependant, elle n’avait pas fait dix pas dehors, le temps d’apercevoir les maisons et les rues d’une ville qui ne lui en rappelait aucune, que Belle-Gueule II l’avait attrapée par le bras et l’avait conduite au pied d’une estrade. Il l’avait placée à la fin d’une file d’attente, juste derrière deux petits vieillards, du moins elle le supposa, à tête de tortue, qui se serraient étroitement l’un contre l’autre.

Au ton et aux gestes qu’il avait utilisés, elle sentit que B-G II voulait qu’elle les suive.

Ce qu’elle fit. Elle n’avait rien à perdre à ce stade. Elle devinait pourquoi toutes ces créatures qui la précédaient dans la file étaient là. Elle n’était pas très à l’aise avec la notion. D’autant que la plupart dans les différents groupes, comme sous la tente, ne semblaient pas présents contre leur gré.

Au moins, cette estrade aurait l’avantage de lui offrir un point de vue suffisamment haut pour évaluer la situation et comment il conviendrait de réagir ensuite.

Quand son tour de présentation arriva, elle grimpa les quatre marches du sommaire escalier de bois et se retrouva sur le plateau face à une quarantaine d’individus, tous plus différents, bizarres et extraterrestres les uns que les autres.

Ils l’observèrent alors qu’elle défilait à la suite des autres. Ils étaient tous là pour acquérir un ou plusieurs esclaves.

Loin de céder à la panique, elle analysa sa situation. Que pouvait-elle en tirer ? Jusqu’à présent le hasard l’avait toujours bien servie… Qu’est-ce qui l’attendait maintenant ? Que faire pour se sortir de là ?

Esmelia était certaine que ceux qui l’avaient capturée ignoraient à qui ils avaient affaire. Cependant, certains éléments pouvaient jouer contre elle. Elle ne savait ni où elle se trouvait exactement, ni quelles pouvaient être les conséquences d’une potentielle évasion.

Elle n’était pas restée inconsciente plus de quelques heures. Si ses ravisseurs avaient utilisé les moyens pédestres, alors elle n’était qu’à quelques kilomètres du verger. Mais ils pouvaient aussi avoir utilisé un vaisseau, ou une navette de transport. Elle pouvait se trouver à des centaines de kilomètres de son point de départ ou sur une autre planète. Ce qui changeait la donne. Elle n’avait rien connu dans le peu qu’elle avait pu voir.

Elle aurait pu… Elle se reprit. Mead’ aurait dû reconnaître cet endroit si elle était là, c’était pour une raison précise.

Ou bien quelque chose avait-il changé au point que cela échappait à la trame du temps ?

Si elle fuyait, qu'y gagnerait-elle ? Combien de temps resterait-elle libre ?

Certes, elle se sentait capable de se sortir de situations plus délicates que celle-ci, voire extrêmement dangereuses. Mais cela faisait un moment qu’elle n’avait pas pratiqué ce genre d’exercice. Était-ce la solution ? N’était-il pas trop tôt ?

Non.

Ici, plus que sur la Terre, elle ressentait les Terranihilisateurs. Dans quelques mois, quelques semaines peut-être, cette planète ne serait plus que cendres, et ses habitants morts ou esclaves en partance pour les champs de bataille.

De futurs tas d’ossements, songea-t-elle avec une pointe de tristesse.

Autour d’elle, ces êtres n’imaginaient pas qu’un danger plus grand que tout ce qu’ils auraient pu concevoir les menaçait eux et leur planète. Ceux qui en avaient la plus petite idée avaient déjà pris la fuite depuis longtemps.

Elle n’était pas de ceux-là. Elle ne fuirait devant les Terrans. Pas parce qu'elle ne le voudrait pas, mais parce qu'elle ne le pourrait pas. Pourvu qu’elle n’ait pas à leur faire face avant d’avoir rempli sa mission et de contribuer à laisser une chance de survie à un maximum d’espèces. Elle devait retrouver l’Occulteur de Mondes et son propriétaire coûte que coûte…

Cette pensée était comme une lumière au fond de son esprit. Elle les trouverait, tôt ou tard. De préférence tôt, avant les Chasseurs de mondes. Elle y parviendrait. Elle s’était toujours fiée à son instinct.

La fuite était l'option la plus évidente, se décida-t-elle. Seulement, il y avait un hic, de taille : il y avait toujours un garde qui avait l’œil sur elle.

Après être redescendue de l’estrade, elle avait tenté de s’éloigner discrètement du groupe, mais Belle-Gueule III l’y avait reconduite, sans violence, presque respectueusement, mais avec fermeté.

Elle n’était pas restée longtemps avec ses tristes compagnons. Elle n’avait rien contre eux. Elle ne les connaissait pas. Elle n’avait même pas essayé d'échanger quelques mots, ou même un sourire avec eux.
De toutes les façons, ils ne lui auraient sûrement pas répondu. Ils ne conversaient même pas entre eux. Sans doute parlaient-ils des dialectes différents.
Les gardes l’observaient, méfiants. Ils avaient sûrement remarqué qu’elle était différente des autres. Physiquement, c’était évident. Mais ils avaient dû sentir autre chose. Question d'expérience.
Ils toléraient qu’elle s’éloigne du groupe, à condition de rester à portée de leur vue.
Elle était donc restée près de l’estrade. De là, elle avait observé son environnement avec attention pendant que d’autres groupes défilaient, un par un, sous les cris de la foule. Elle avait beau ne pas comprendre ce qui se disait, elle devinait que les ventes allaient commencer sous peu. Enfin, un peu de mouvement.
Dans l'immédiat, elle était trop surveillée pour s’évader. Mieux valait s’immerger dans ce monde et tenter de le comprendre. Mais si observer était une chose, y participer en étant vendue au plus offrant en était une autre. Elle n’avait jamais eu de maître sur la Terre. Ce n’était pas aujourd’hui, sur une autre planète, que cela allait commencer. Elle devait réfléchir, trouver une solution rapidement. Pourtant, la seule qui se présentait à son esprit ressemblait tout bonnement à une série d'homicides. D'un autre côté, peut-être que celui qui l’achèterait serait le propriétaire d’un vaisseau de liaison interplanétaire.
Tous les groupes étaient passés sur l’estrade pour une première présentation. La vente allait commencer.
Avant le sien, il y avait quatre groupes. Chacun était composé d’une quinzaine d’individus. Les membres passèrent individuellement, parfois en couple, plus rarement à trois ou plus.
Au début, il y eut un certain enthousiasme de la part des acheteurs. Cela se calma à la fin du passage des membres du deuxième groupe. Les deux groupes suivants passèrent dans un calme relatif. Puis vint le tour du sien.
Les créatures qui la devançaient montaient chacune leur tour sur l'estrade.
Elle s’intéressa au marchand d’esclaves. Sorte de Monsieur Loyal de la vente. Il était paré, pour l’occasion, de riches étoffes colorées. Malgré ses efforts apparents, elles ne cachaient rien de son physique de batracien.
Il fit signe à un colosse rouge de monter sur l’estrade afin de se présenter à la vente.
Tout en muscles, tatouages et scarifications, avec deux grandes ailes en peau de parchemin, tendues plantées dans le dos, celui-ci obtempéra avec un enthousiasme qu’il ne ménagea pas. Il avait un visage taillé dans la pierre, des yeux profondément enfoncés dans leur orbite, une bouche remplie de crocs, dont certains restaient visibles même lorsqu’il la fermait. Imberbe des griffes de ses doigts de pieds à ses quatre petites cornes qui ornaient sa tête de chaque côté, sa peau semblait huilée, à moins qu'il ne s'agisse d'une sécrétion naturelle. Elle s’était attendue à ce qu’il ait des oreilles pointues. Au lieu de cela, elles lui semblèrent normales.
En dehors du marchant d’esclaves, elle avait remarqué deux autres individus présents en permanence sur l’estrade.
Assise derrière une table, tout au fond dans un coin, se tenait une créature longiligne, vêtue d’une longue robe de bure verte. Sa peau était de la même couleur avec des reflets irisés comme si elle était couverte d’une fine couche d’humidité. Elle avait un long cou et une tête triangulaire, sans cheveux, sourcils ou barbe, de grands yeux globuleux de couleur émeraude avec de longs cils. Ceux-ci semblaient pouvoir bouger, indépendamment, dans tous les sens.
La créature ressemblait beaucoup à une mante religieuse. Comme elle percevait l’argent ou les bons des acheteurs, Esmelia supposa qu’il s’agissait du trésorier de la vente ou de la trésorière, car son genre restait encore à déterminer.
La troisième créature, au sexe tout aussi indéfinissable, devait avoir le rôle de négociateur. C’était elle qui menait les enchères et départageait les acheteurs en cas de litige.
À sa voix grave, Esmelia décida qu’il devait s’agir d’un mâle, mais elle pouvait très bien se tromper.
Il ou elle avait une tête qui donnait l’impression que, quelque part dans son arbre généalogique, il y avait eu un géant, un Orc, un cochon et un yack.
Il en résultait une face entièrement poilue, surmontée d’un épais toupet d’un noir tirant sur le violet, de petits yeux sombres sous un front bas, un groin, surplombant une bouche très avancée, avec quatre canines de sanglier proéminentes. Sa grosse tête se confondait avec son cou de taureau et lui donnait un air balourd sympathique, car malgré son aspect physique, sa grande taille et sa forte corpulence, il ou elle ne semblait pas particulièrement menaçant-e.
Le marchand d’esclaves fit faire plusieurs tours sur lui-même au diable rouge qui déploya ses larges ailes de cuir tanné. Il était plutôt bien fait de sa personne, et le savait. Sans doute même s’était-il préparé pour ce jour.
Esmelia remarqua que ses quatre petites cornes rouges, situées sous son menton, suintaient un liquide jaunâtre peu ragoutant qui tachait sa tunique bleue. Était-il malade ou au comble de l’extase à cause de toute cette attention qui lui était portée ?
Elle s’était demandée ce qu’ils attendaient tous de cet état d’esclavage.
Une réponse qui s'imposa à son esprit : une situation sociale plus élevée ou au moins un foyer meilleur que ceux qu’ils avaient eus jusqu’alors.
Esmela sentait que cette condition d'esclave quelle que soit sa forme n’était pas comparable à celle des Terriens réduits à cet état sur la Terre. Mais une partie d’elle-même peinait à le concevoir. Elle était imprégnée de cette culture terrienne. Comment, alors, concevoir cette forme d’acquisition d’êtres sentients sans songer à leur entière soumission. La façon même dont elle avait été capturée ne laissait aucun doute sur l’idée de trafic d’êtres vivants… Et pourtant, ces créatures étaient comme des modèles à une présentation. Ils cherchaient à paraitre sous leur meilleur jour, cachant au mieux leur désespoir ou ce qu'ils pensaient être des imperfections physiques.
Et si tous, comme elle, ils cherchaient à quitter la planète d’une manière ou d’une autre ?
Non… Plus elle les observait, plus elle doutait que, parmi toutes ces têtes qu’elle pouvait apercevoir, il y en ait beaucoup qui soient établis ailleurs que sur Féloniacoupia.
La dernière présentation du diable était terminée.
Dans la foule, devant l’estrade les quelques hommes restants, et surtout des femmes, commencèrent à gesticuler en jappant des mots brefs.
Une créature, sensiblement de la même espèce que le musculeux cornu, plus petite, à la peau grise, et totalement asexuée sembla être prête à payer le prix pour l’acquérir, mais elle abandonna rapidement sans cacher sa déception.
Ce fut un autre extraterrestre, de petite taille à la peau jaune pissenlit et d’allure androgyne, elle aussi, qui parvint à l’acquérir au terme d’un âpre duel chiffré contre une femelle gecko bipède et garnies de plumes roses en guise de chevelure.

 

 

 

 



06/10/2020
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