Ihriae-Au fil de l'eau...

Ihriae-Au fil de l'eau...

PART. I - Chapitre 06

- Chapitre 06 -

 

 

Elle vérifia son équipement.
Sous sa veste noire, elle portait une armure souple et fine censée être une protection. Elle n’avait pas encore pu en définir sa composition, mais elle savait par expérience que l’eau n’y pénétrait pas plus qu’une arme de jet. Elle était protégée contre les projectiles et les décharges électriques des tasers.
Elle ne voyait pas très bien comment un vêtement pourrait empêcher les projectiles d’une arme à feu de la tuer, mais celui qui l’avait inventé avait été bien inspiré.
Elle avait eu aussi l’occasion de constater que les crocs et les griffes ne l’entamaient pas plus. Si jamais, un jour, elle trouvait des bottes, des gants et un bonnet, voire un masque, avec des propriétés similaires, elle les achèterait… ou les volerait sans hésiter.
Elle poursuivit son inspection.
Le couteau de chasse de son père était dans sa botte droite. L’arc magnétique, qu’elle s’était permis d’emprunter dans le dépôt d’objets d’art dans lequel ils s’étaient retrouvés à leur retour sur la Terre, était fixé sur son avant-bras gauche se dépliait en moins d’une seconde. Il lui fallait juste exercer une rapide pression sous le poignet pour le mettre en fonction.
Elle avait aussi récupéré un antique sabre qu’elle portait dans son fourreau accroché dans le dos.
Elle espérait ne pas avoir à se servir de l’un ou de l’autre, pas plus que des deux pistolets à fléchettes hypodermiques dans leurs holsters sanglés au-dessus des genoux, équipement qu’elle était allée chercher en personne dans l’une des nombreuses caches que Kolya possédait un peu partout sur la planète. Encore une de ces choses qui n'avait pas changé. Juste une précaution supplémentaire. Ils pouvait lui être utile au cours de sa mission de sauvetage. Elle chercha un dernier objet.
Son regard se posa sur la miséricorde dans son étui ouvragé. Comme à chaque fois qu’elle les voyait, elle se demandait : de la dague, véritable objet d’art et arme de précision, ou de son fourreau de fer forgé serti de pierres précieuses, lequel était le plus précieux ?
Elle l’avait vue à plusieurs reprises sur le bureau de Baal, et, alors que les armes avaient été interdites lors du sommet des Chanceliers drægans, il avait réussi à la porter en permanence sur lui. D’un autre côté, il avait eu aussi deux autres armes avec lui : une épée mythique, et elle, ou plutôt Mead'.
Aujourd’hui, Esmelia savait que si sa vie avait été menacée, elle l’aurait protégé coûte que coûte.
Baal avait confié la dague à Will lors de leur fuite. Elle était l’unique objet qui lui restait de son passé phénicien. L’ancien dieu y tenait particulièrement.
Elle la prit et la fixa à sa ceinture, sous sa veste.
Esmelia la rendrait à l’ancien dieu lorsqu'elle l’aurait libéré de sa prison. Elle reprit sa place derrière le rocher.
Le soleil gagnait l’horizon. La relève des gardes allait avoir lieu juste avant que la lumière artificielle des spots éclipse celle de l’astre du jour.
Will s’était absenté quelques instants de son poste d’observation. Il était allé chercher un sandwich au campement, situé à quelques mètres de là, à l’ombre des rochers.
Elle savait qu’il lui en ramènerait un. Elle ne le mangerait pas. Elle préférait rester à jeun avant de passer à l’action.
Pauvre Will, toujours discret, serviable, et, ce qui complétait l’ensemble, efficace. Elle arrivait à avoir un peu de peine pour lui.
Qu’arriverait-il lorsqu’ils devraient se faire face en tant qu’ennemis ? Jamais il ne porterait le premier coup. Elle en était certaine.
Elle appréciait l’archéologue. Il était de ces hommes que l’on remarquait davantage pour leur nature que pour leur apparence. Celle-ci correspondait exactement à son caractère : en rondeur et en douceur. Il avait aussi de la prestance, une aura particulière. La plupart des personnes qui le côtoyaient lui accordait immédiatement leur confiance.
Ce que l’on voyait en premier chez lui, c’était la bonté qui émanait de ses yeux bleus. La sagesse qui découlait de ses paroles, et l’intelligence qui résultait de ses actes.
Elle le lui avait dit lorsqu’ils étaient encore très proches.
Il avait immédiatement réfuté ces qualités. Sa modestie l’avait faite sourire. Elle avait aussi ressenti le bonheur d’avoir découvert un tel être. Il était exactement le compagnon de route qu’il fallait à un personnage aussi imbu et obtus que pouvait l’être un dieu, fut-il ancien et faux.
Will avait vu des choses que le commun de mortels ne verrait sans doute jamais. Il savait des secrets qu’il aurait sans doute préférés ne jamais connaître. Ces secrets pesaient-ils sur sa conscience d’humaniste ?
Son engagement à l’AMSEVE avait autant transformé l’homme que le scientifique. Était-ce aussi pour cela qu’il avait préféré la fuite à une vie de recherche et de confinement ? Sacrifier son passé, et l’amour des siens, pour une liberté finalement fragile ?
Elle avait essayé de l’interroger sur son passé, de savoir ce qu’il avait fait à l’AMSEVE ou avant d’y entrer.
Il s’était refermé comme une huître. Elle avait senti une tristesse abyssale l’envahir. Son malaise venait sans doute d’un traumatisme vécu avant. Avait-elle deviné juste ? Avait-il commis des actes contraires à sa morale ? Avait-il participé à quelque chose de répréhensible aux yeux de la loi elle-même ?
Elle avait essayé de fouiller son esprit, mais assez curieusement, elle n’avait rien trouvé d’autre que des évènements récents. Le reste semblait verrouillé, même pour lui. Elle avait dû s’en remettre au présent, sans le juger.
Après tout, C’était la manière dont vivait une personne, et la somme de ce qu’elle avait vécu qui la construisait et la définissait. Quoi qu’il ait vécu cela avait fait de lui l’homme qu’il était aujourd’hui. Quelqu’un de bien.
Elle le lui avait dit tel quel. Il s’était contenté de lui répondre qu’une part de lui était morte à cause de son passé, qu’il n’était plus vraiment l’homme que sa famille avait connu autrefois. Ce qui avait clôt le sujet. Aujourd’hui, cela l’était encore plus après tout ce qu’il avait vécu. Esmelia songea à nouveau au jour de leur rencontre, un jour de février qui, pourtant, d'une certaine manière, n'était pas encore arrivé...
Comme le reste de l’équipe d’intervention de l’AMSEVE, elle était entrée dans le CET, un gigantesque cylindre posé à la verticale dans un immense sous- sol situé sous la base.
Personne n’avait eu besoin de le lui dire, mais elle avait deviné qu’il s’agissait du fameux Compresseur d’Espace-Temps.
Le sous-sol était bondé de scientifiques en blouse blanche ou grise qui déambulaient tant bien que mal entre eux, entre les câbles reliant de grosses turbines et entre divers autres appareils qu’elle aurait été bien en peine de nommer dans un rapport, entre leurs ordinateurs et autres moniteurs de surveillance de données.
Son équipe était composée de sept soldats aguerris, pour ne pas dire d’élite, et trois bleus dont elle faisait partie malgré le solide curriculum que lui avait concocté Kolya.
Ils étaient entrés dans le cylindre avec l’ordre de rester debout, serrés les uns contre les autres, en position de défense.
Une blouse grise avait refermé la porte derrière eux et ils s’étaient tous retrouvés dans le noir.
Combien de temps avaient-ils attendu ?
Une bonne trentaine de minutes d’après ce qu’elle avait pu estimer. Sans bouger.
Elle avait senti ses muscles s’ankyloser.
Soudain, un flash. Puis toute une série dont elle perdit rapidement le compte. Le premier flash n’était qu’Amber Hole. De là, ils étaient "repartis" ailleurs.
Ils eurent droit à des visions.
Plus tard, au camp de base, certains d’entre eux racontèrent avoir vu un espace étoilé autour d’eux, d’autres le soleil, d’autres encore prétendirent avoir gardé les yeux fermés, mais elle avait senti qu'ils mentaient de peur de passer pour des fous en racontant ce qu'ils avaient pu voir…
Elle n’avait rien vu de tout cela, ni même quelque chose de dingue.
Elle n'avait vu que le temps et l’espace qui filaient à une vitesse vertigineuse. Ce qu’elle avait ressenti lui était si familier, si agréable. Elle ne trouvait pas d’équivalent à ces sensations.
L’obscurité s’était de nouveau faite autour d’eux.
Elle avait éprouvé quelques picotements dans tous le corps. Ils baissèrent d’intensité, puis augmentèrent à nouveau. Elle sentit à nouveau l’espace-temps la happer durant trois ou quatre secondes.
L’instant d’après, tous les membres de l'équipe se trouvaient dans une clairière, au milieu d’un cercle de pierres, ou du moins ce qu’il en restait. Nombre d’entre elles étaient couchées, ou brisées en plusieurs morceaux, quand elles n’avaient pas tout simplement disparu.
Elle connaissait ce lieu... dans un temps lointain. Elle y était déjà venue ? Elle ne parvenait pas à en être certaine. Elle avait pourtant bien cette impression de déja vu.
Leur première réaction fut de tousser à s’en écorcher les poumons.
L’air qui y entrait était tout à fait respirable, mais si pur.
L’air, sur la Terre, était tellement pollué qu’il était quasiment impossible de rester plusieurs heures dehors sans ressentir des problèmes de respiration. La plupart des soldats utilisaient régulièrement des masques personnels lorsqu’ils rentraient chez eux, dans leur pays, après les missions, pour retrouver leur famille.
Ceux qui vivaient dans les bas quartiers et avaient appris à s’en passer eurent plus de difficulté à s'acclimater à cet air exempt de particules polluantes.
Elle fit mine d’être de ceux-là, même si elle ne ressentait rien. Au moins, elle avait obtenu leur sympathie.
Il leur fallut aussi plusieurs heures pour s’habituer à la lumière. Voir et respirer se révéla rapidement plus épuisant que simplement bouger. Sans compter que le voyage leur avait donné à tous des envies de vomir et des maux de tête coriaces.
Dans le même temps, certains membres de l’équipe avaient vérifié, discrètement, qu’ils étaient bien arrivés dans leur intégralité.
Quatre des soldats qui avaient effectué le précédent voyage installèrent sans attendre "l’élastique". Il s’agissait du surnom de la machine qui devait les ramener à bon port. Elle ressemblait à une grosse balle blanche alvéolée de boursoufflures dans laquelle ils devraient tous entrer et qui assurerait leur retour sur la Terre. Ils seraient ensuite transférés dans des cellules isolées les unes des autres et du reste de la base. Ils y resteraient un peu plus d'un mois sous surveillance constante des médecins. Chacun y avait carrément déménagé ses quartiers, histoire de ne manquer de rien durant leur quarantaine.
Enfin, une fois le camp établi à la lisière de ce qui semblait être une forêt, ils avaient tous dû s’allonger un moment.
Esmelia ne ressentait aucun des symptômes apparemment dus au voyage mais, comme elle l’avait fait pour les difficultés respiratoires, elle imita les autres.
Évidemment, les anciens qui les accompagnaient l’avaient charriée comme les deux autres bleus de l’équipe.
C’était leur premier voyage, et il était normal qu’ils en fassent les frais.
Comme la nuit tombait, plutôt rapidement et noire en l’absence de lune, ils décidèrent de ne pas bouger du camp jusqu’à l’aurore, quatorze heures plus tard.
Elle avait attendu que tous soient endormis et avait déjoué la vigilance des deux gardes pour aller explorer ce nouvel environnement. Elle avait quelques heures devant elle avant son tour de garde.
Dans son exploration, elle avait découvert qu’ils se trouvaient au sommet d’une falaise. Il fallait faire un grand détour, de l'autre côté de la forêt, pour rejoindre un versant moins abrupt de la falaise, et en descendre et attendre le plateau.
Elle le savait sans même avoir à le vérifier.
Encore cette impression...
Cela représentait une journée de marche. La semaine en jours terriens dont ils bénéficiaient serait sans doute un peu juste pour aller au-delà du plateau. Là où justement, cela deviendrait intéressant...
En bas de la falaise, il y avait une rivière qui coulait paisiblement. Un plan d’évasion s’était alors clairement dessiné dans son esprit. À première vue, cela paraissait être une idée totalement insensée mais, elle sentait que c’était ce qu’elle devait faire.
Au final, tout ce qu’elle avait fait, tout ce que d’autres avaient construit avant elle, devait la conduire ici, pour une bonne raison.
Étrangement, Esmelia se sentait apaisée comme elle ne l’avait jamais été. L'esprit en paix, plein de cette certitude, elle était retournée s’accorder une heure de sommeil auprès de ses compagnons.
Elle avait senti cette ombre, Mead’, qui était en elle et ne demandait qu’à l’envahir toute entière, à devenir elle. Elle la craignait alors...
Elle avait aussi ressenti une autre ombre presque semblable à Mead', chez quelqu’un d’autre à l'AMSEVE. Un homme qu'elle y avait croisé à plusieurs reprises… Semblable et, en même temps, différent. Elle ne l'avait pas identifié alors.
Aujourd’hui, elle savait que ‘Cian avait pris sa place dans le déroulement des évènements.
Au réveil, le matin, ils avaient tous découvert qu’une couche de neige recouvrait le campement et le paysage qui les entourait. Ces changements de temps, de température, de paysage avaient été si soudain, si surprenant. Même les deux soldats de garde qui avaient regardé tomber les flocons durant la dernière heure n’avaient pas imaginé qu’elle serait aussi épaisse. En même temps, il n'avaient jamais vu de neige de leur vie, sauf dans quelques vieux films peut-être.
Son plan fut mis à exécution juste après que leur groupe ait été divisé en trois.
L’un était resté sur place à garder le camp. L’autre devait explorer la forêt.
Le sien, sous les ordres du Capitaine Delrio, devait descendre de la falaise et franchir la rivière.
Ils avaient longé l’escarpement sans trouver autre chose qu’un promontoire, quelques mètres plus bas, comme elle l'avait remarqué la veille.
Comprenant qu’il n’existait aucune issue de ce côté-ci, Delrio avait annoncé qu’ils allaient devoir se préparer à descendre en rappel. Pour cela ils devaient retourner au camp chercher le matériel nécessaire.
Sans prévenir, et sans hésiter, elle avait pris son élan et s’était élancée au-dessus du vide.
Elle avait entendu à peine le Capitaine lui ordonner de s’arrêter. Elle avait surtout senti un de ses compagnons essayer de la courser.
En vain.
Esmelia avait été plus rapide que lui. Elle avait ressenti sa frayeur lorsqu’elle avait sauté par-dessus le précipice.
La chute avait été rapide. Sur ce versant donnant sur le promontoire qu’ils avaient pu apercevoir, les arbres qui poussaient au pied de la falaise étaient bien plus grands que sur la Terre. Leur cime ne semblait qu’à trois ou quatre mètres, cinq au maximum, de la falaise.
Comme elle l'avait espéré, la casse-cou s’était réceptionnée dans un sapin géant touffu, d’où elle s’était ensuite laissée glisser en bougeant un maximum de branches et en hurlant à la mort.
À quelques mètres de l’arrivée, elle avait produit une sorte de hoquet et s’était tue. Bien que contusionnée sur tout le corps, contrairement à ce qu'elle avait voulu faire croire à ses compagnons, elle était parvenue à se réceptionner en douceur sur l’une des grosses branches. Elle s’était furtivement glissée sur une branche voisine. Ce qui lui avait permis de passer au-dessus de la rivière.
Lorsque Esmelia fut suffisamment loin, surtout lorsqu’elle sentit qu’ils avaient beau essayer de voir si elle avait survécu à sa chute, elle sortit d’une grosse boite hermétique qu’elle avait glissée dans son sac à dos, avant son départ de la base. Elle l'ouvrit avec précaution. Un gros morceau de viande saignant qui donnait l’impression d’avoir été arraché à son propriétaire plutôt que découpé — ce qui n’était probablement pas faux — s'y trouvait.
Elle le balança en direction du premier arbre dans lequel elle avait atterri. Elle en fit de même pour le sang. Elle referma aussitôt la boite et la rangea dans un sac en plastique pour emprisonner l’odeur, déjà forte, qui s’en dégageait, puis elle la replaça temporairement dans son sac à dos considérablement allégé.
L’espionne ignorait quel genre de bestiaux carnivores régnait sur cette planète. Elle allait bientôt le savoir, car au mieux, elle n’allait pas tarder à arriver et retarderait une possible expédition de secours. Au pire, ses anciens camarades penseraient, en découvrant le morceau de cuisse sanguinolente, qu’elle avait obtenu d’un chirurgien clandestin, qu’une bête était passée avant eux. Le temps qu’ils ramènent ses restes à l’AMSEVE et qu’ils découvrent que ce bout de viande n’avait jamais couru de sa vie et avait été totalement été conçu en laboratoire, elle serait introuvable. De toutes les façons, il y avait peu de chance que le Général Doherty ordonne une troisième expédition sur Feloniacoupia. Deux pertes lui sembleraient déjà suffisantes.
Esmelia s’était éloignée le plus possible de son lieu de chute et des fauves ou quoi que ce fut. Lorsqu’elle se sentit suffisamment en sécurité, elle sortit de son sac des vêtements sombres, moins militaires, et se changea tout en surveillant son environnement. Pas question de se faire surprendre bêtement par un prédateur local. Celui-ci n’avait aucun rôle à jouer dans l’histoire.
La déserteuse avait gardé le fusil de l’AMSEVE. Elle le débarrassa de sa balise de repérage. Elle avait aussi un couteau. Une fois parée pour la suite de sa quête, elle avait balancé ses vêtements et son sac à dos en direction du sol et les avait arrosés du restant de sang contenu dans la boite. Ne pouvant emporter celle-ci, elle l’avait découpée avec son couteau et fourrée dans une ouverture du tronc, faite sans doute par un oiseau ou un rongeur. Personne n’irait le chercher là.
Elle était ensuite poursuivi son chemin en passant par les branches de deux autres sapins avant de se décider à gagner la terre ferme. Bien que certaine d’être hors de vue de ses anciens compagnons, elle s’était éloignée en prenant soin de ne laisser aucune traces derrière elle.
La jeune femme avait marché, et souvent couru durant six jours et deux nuits, ne s’arrêtant que pour manger les quelques rations de survie qu’elle avait pris soin d’emporter avec elle, et pour dormir quelques heures.
Le troisième jour, le terrain qu’elle traversait avait radicalement changé. Le climat aussi. La frontière était nette. Dans son dos, elle avait eu un paysage de montagne enneigé. Devant elle, s’était étendue une plaine printanière, verdoyante et fleurie. Un territoire où elle avait dû se déplacer à découvert durant les jours suivants.
Dans sa fuite, elle se souvenait avoir senti un parfum d’orange ou de quelque chose qui y ressemblait. Il avait envahi sa gorge et ses poumons. Elle ressentait aussi la chaleur du soleil et la quiétude des lieux jusqu’au fond de son cœur.
Pour la première fois de sa vie, elle s’était sentie vivante et exactement là où elle devait être.
Quelque chose venait de s’éveiller en elle : un désir de vie et de liberté. Quelque chose qui lui appartenait à elle, Esmelia. Pas à Mead’. Du moins, le pensait-elle alors.
Elle avait eu le sentiment que la nature était avec elle, en elle.
Plus animale qu’humaine, elle avait humé durant les trois jours suivants ce vent parfumé de fleurs d’oranger.
Esmelia avait éprouvé cette force en elle, jusque-là endormie. Elle avait senti grandir dans sa poitrine, s’éveillant, lentement. C’était une entité lumineuse qui pris de la force au rythme de sa course. Ou peut être avant, dans la singularité, l'amber hole.
Elle avait parfois l’impression d’en tirer son énergie, sa vie même.
Elle avait réussi à atteindre une sorte verger. Le parfum était devenu entêtant, étourdissant, enivrant.
À son arrivée, les lieux étaient devenus étrangement silencieux, ou était-ce déjà le cas avant.
Elle n’avait pas eu le temps d’y prêter une très grande attention.
Elle n’avait capté que les informations essentielles... Les présences de plusieurs individus.
Ils étaient deux, proches d’elle. Un autre les attendait un peu plus loin, prêt à lui couper la route si elle leur échappait en faisant demi tour. Ce qu’elle n’avait pas l’intention de faire.
Une quatrième complice les attendait auprès de trois bêtes de somme et un chariot avec des prisonniers. Aucun des quatre bandits n’appartenait à la même espèce. Ils formaient même un curieux assortiment.
Esmelia sourit intérieurement. C’était une autre information essentielle. Cette planète était un carrefour des civilisations. Au moins, de celles qui vivaient dans ce système. Ce qui signifiait qu'il y avait des voyages spatiaux, et donc des vaisseaux.
Au terme de cette dernière découverte, elle s’était retrouvée avec un sac en toile sur la tête, et une double paire de bras musclés qui la ceinturait.
Elle avait eu le temps d’apercevoir une créature humanoïde, un géant, le visage gris tatoué de motifs bleu ciel et un seul œil au milieu du front.
Elle s’était débattue, juste ce qu’il fallait pour ne pas décourager ses agresseurs, et ne pas leur faciliter la tâche.
En réalité, elle n’avait rien eu à craindre d’eux. Si elle l’avait souhaité, elle aurait pu les tuer à n’importe quel moment. Elle avait seulement voulu leur faire croire qu’elle était ce qu’ils pensaient : une proie.
Elle avait eu le temps de décoder certaines de leurs pensées. Des informations essentielles.
Ils n’avaient pas l’intention de la tuer, ou même de lui faire le moindre mal. Au contraire. Leur projet était tout autre…
En premier lieu : la neutraliser en lui donnant un coup sur la tête.

 

 



28/02/2014
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